Subjectivation et Appareillage des corps
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COMPTER AVEC LE CORPS : L'ART DE DEVENIR MONSTRUEUX Olivia Campaignolle - Art et communication LES ARCHÉTYPES DE L'IMAGE PHOTOMÉCHANIQUE Marion Delage de Luget - Philosophie L'objectif de ce séminaire est de repenser la place du corps dans le processus de subjectivation à la lumière de la théorie des appareils développée par J.-L. Déotte. Nous chercherons ainsi à repenser la subjectivation dans une perspective esthétique, et non métaphysique comme peut sembler y inviter la philosophie classique du sujet, en nous interrogeant sur les normes de visibilité des corps.
Problématique Judith
Butler met le corps au centre de sa conception de la subjectivation.
Elle suggère que la manière même dont le sujet advient, sa
subjectivation, est indissociable d’une certaine posture et
organisation de son corps. Celle-ci le rend visible à la place qu’il
est censé occuper. Si le sujet tel que le conçoit Descartes est
essentiellement métaphysique, il semble ainsi que cette conception soit
insuffisante. Même si l’on considère que le modèle de production du
sujet est celui de la perspective (Déotte), cette subjectivationpeut
sembler indissociable de la position physique de l’individu subjectivé
devant le tableau. Le fait que le point de fuite en tant que
matériellement tracé dans le tableau définisse le point du sujet par
lequel la singularité est accaparée, dans la mesure où le destinataire
a déjà sa place dans le tableau avant même de l’avoir vu, suggère que
le sujet ne devient sujet qu’en même temps qu’il prend une certaine
posture. De la même manière, que ce soit la marque sur le corps de
l’autre qui préside à la prise de conscience de soi dans la dialectique
hégélienne du maître et de l’esclave, l’incorporation nécessaire à
l’apparition du moi chez Freud, ou le retournement physique de
l’interpellé chez Althusser, la production du sujet semble dépendre
d’une certaine organisation du corps. Dans la mesure où un appareil, tel que le conçoit J.-L. Déotte, est la condition de l’apparaître
en ce qu’il permet d’inscrire l’événement et le prépare à apparaître
pour nous en lui donnant une certaine forme légale, il semble bien que
l’existence du corps, et donc le processus de subjectivation lui-même
en ceci qu’il n’est pas que production d’une subjectivité mais
également d’un corps, dépende d’un tel appareil. Que le sujet soit
visible semble en effet dépendre d’un agencement de son corps selon une
certaine loi, de sa synthèse qui l’organise selon des catégories qui le
rendent visible. Il s’agit bien d’une mise en forme du sensible selon
une certaine logique pour qu’il soit intelligible. Sans un certain
appareil, ce qui nous apparaît ne saurait apparaître car cela ne serait
pas organisé selon nos formes pures de la sensibilité. Le
corps, en ce qu’il est surface d’inscription des normes de visibilité
(formes pures de notre sensibilité) et qu’il s’inscrit en vertu de
cette inscription à sa place dans une communauté, semble bien dépendre
d’un tel appareillage produisant l’apparaître selon une
certaine cosmétique, c’est-à-dire introduisant une certaine structure
par laquelle certaines choses apparaîtront et d’autres pas.
Notre hypothèse est qu’à chacune des fonctions que prend un individu
dans sa vie sociale (sexué, travailleur, citoyen, spectateur...)
correspond une certaine production de son corps qui l’inscrit à cette
place. Il n’apparaît en effet jamais dans le champ social sans un corps
visible, et apparaît toujours selon certaines normes qui définissent sa
visibilité. Un certain nombre de contraintes s’appliquent sur les corps
et les modèlent, les organisent pour les rendre visibles – qu’elles
soient spatiales (l’organisation spatiale politique), techniques
(l’ergonomie) ou culturelles (les normes de représentation du cinéma
hollywoodien). Il semble ainsi qu’il y ait plusieurs stratégies
possibles pour produire un corps et que ce corps soit lui-même
multiple, correspondant aux différentes subjectivités que l’individu
doit prendre dans sa vie sociale. Le fait qu’elles s’articulent dans
une même société, dans un monde commun, et que le sujet multiple qui en
résulte puisse jouir d’une certaine continuité justement comme sujet
multiple et non comme multiplicité de sujets, montre bien qu’il s’agit
de possibilités d’un même mode de visibilité. En effet, dans la mesure
où un appareil est l’instrument de l’édification d’un monde commun,
l’existence d’une communauté suppose que ses membres partagent les
mêmes normes d’organisation de la visibilité et d’ordonnancement,
c’est-à-dire qu’ils partagent un même mode d’apparaître. Il
nous faudra étudier pour elle-même chacune de ces possibilités pour
voir en quoi elle actualise une possibilité propre et à chaque fois
différente d’un même mode de visibilité et d’une même temporalité. Cela
pourra nous permettre d’observer des facettes différentes de ce mode
commun et de comprendre ainsi en quoi elles sont irréductibles. Cette multiplicité synchronique, révélée par le jeu plastique du body art
qui fait cohabiter plusieurs identités sur un même corps, brouille le
statut même du sujet en tant qu’il est censé, à l’instar du sujet
cartésien, être toujours semblable à lui-même. La multiplication des
stratégies de subjectivation, même dans le cadre d’un appareil unique,
ne peut en effet que produire un sujet qui a du mal à se considérer
dans un espace-temps homogène et posé une fois pour toutes. Il faudra
en ce sens étudier et analyser l’articulation entre ces stratégies et
déterminer la nature du sujet qui résulte d’un tel appareillage. Il
s’agira de comprendre comment cet appareil enchaîne ses différentes
stratégies à la manière dont peuvent s’enchaîner des régimes de phrases (Lyotard) entre lesquels il n’y aurait pas de différent,
sans pour autant qu’il s’agisse d’une succession prévisible et
homogène, et sans que ne soit absolument perdu le régime suspendu dans
sa présentation par celui qui suit. Si, comme le suggère J. Butler, chaque réitération et resubjectivation est l’occasion d’un décalage par rapport au résultat escompté, une telle conception pourra ouvrir la voie à l’existence d’autres corps qui ne seraient pas parfaitement visibles. Ils ne seraient pas organisés exactement comme ils devraient l’être, compte tenu de la stratégie de l’appareil dont ils dépendent (par exemple dans le décalage qui a lieu par rapport à la production psychiatrique du corps de l’autiste dans la structure mise en place par F. Deligny, ou les corps d’Orlan et Ron Athey dans les arts plastiques). En effet, dans la mesure où un appareil génère une sensibilité particulière, il ne peut se saisir de tout. Il laisse de côté un certain nombre de choses qui lui échappent, qu’il ne rend pas visibles et n’inscrit pas. Il s’agira ainsi d’observer ce qui échappe à la capacité de synthèse de l’appareil, que l’on ne peut percevoir que quand ce quelque chose qui arrive sans qu’on ne puisse l’inscrire se mélange avec du rendu visible, lors de réitérations ratées. Nous chercherons à comprendre ces décalages et ces ratés dans l’organisation de la visibilité, produisant non pas vraiment des corps non-vus, mais des corps difficilement visibles. Il s’agit de tenter de définir l’appareil qui nous intéresse ici, non seulement par ce qu’il produit et rend visible, mais par ce qu’il oublie et qui se révèle parfois en interférant dans la production des corps pour donner lieu à ces organisations floues. Nous étudierons ainsi les décalages possibles des modes de production de ces corps, en relation avec la subjectivation de sujets ne trouvant pas exactement leur place dans les fonctions socialement prédéfinies. Il s’agira de voir dans quelle mesure les normes de productibilité et de visibilité des corps peuvent être constamment remises en cause par un certain nombre de corps, non immédiatement reconnaissables et non-normaux, tout en étant produits par les différentes stratégies normales. Un des enjeux de notre réflexion sera donc, parallèlement à la critique que fait J. Butler des identités contestataires, d’étudier la signification de ces décalages ouvrant de nouvelles possibilités, non pas contre l’appareil mais malgré lui. À travers un tel travail, il s’agira de voir en quoi l’existence même des corps est problématique. Nous ferons en ce sens une étude généalogique de ce qui fait qu’un corps est un corps, ainsi qu’une typologie non définitive des stratégies produisant la pluralité synchronique du corps, indissociable de celle de la subjectivité.
Organisation, logistique et diffusion Dans cette perspective, nous concevons ce travail comme s’orientant selon trois axes inter reliés, qui peuvent constituer un programme d’analyse pour chaque type de corps que nous aurons à étudier : -visibilité culturelle des corps (normes symboliques et de présentation artistique) -inscriptibilité des corps dans et par leurs relations à leur milieu (inclusion dans un espace par rapport à d’autres corps) -possibilités de productibilité de corps non immédiatement reconnaissables. Il s’agira d’établir un cadre théorique permettant de comprendre les processus à l’œuvre et les possibilités de décalage dans l’application des normes d’existence des corps. L’objectif et la méthodologie de notre recherche sera, à partir de l’étude circonstanciée des différentes stratégies en jeu et des différents corps ainsi produits, de travailler dans une démarche d’études culturelles croisant à la fois différents champs d’études et différentes méthodologies. Les différents corps que nous étudierons l’ont déjà été dans des perspectives et des champs différents. Il nous faudra voir comment articuler ces perspectives. Il s’agit donc de tenter de définir une grille d’intelligibilité fonctionnelle les intégrant au-delà des cas précis pour lesquels elles ont été forgées. La progression de notre recherche sera basée sur ce constat de la multiplicité des corps. Nous consacrerons un volume horaire de 6 à 12 heures à un certain nombre d’organisations du corps qui nous semblent particulièrement pertinentes. Cela nous permettra d’étudier la typologie des approches et des stratégies rendant chaque corps visible, ainsi que de comprendre le fonctionnement de l’appareil qui les sous-tend et les articule. Nous étudierons tour à tour le corps sexué, le corps politique, le corps travailleur, le corps spectateur et visiteur, le corps éduqué et le corps inhumain. Chaque thème sera traité selon les trois axes définis et illustré par la projection d’un film (par exemple : Ivan le Terrible de Sergeï Eisenstein). Sur la base de ce premier travail, organisé sur 12 mois, il s’agira par la suite de dégager de manière plus systématique les caractéristiques de l’appareil actualisées de ces différentes manières. Cette seconde étape de notre recherche, qui pourrait se dérouler sur les 12 mois suivants, ne sera possible que dans la mesure où la première aura réussi à dégager de manière suffisamment pertinente ces processus. Son organisation dépendra donc du bilan de ce premier moment. C’est pourquoi nous laissons ouverte la suite de notre recherche. À travers cette progression, notre ambition sera d’élargir et de multiplier les perspectives sur chacun de ses objets en réunissant une équipe pluridisciplinaire. L’organisation de ce séminaire est l’occasion de mettre en place un groupe de recherche réunissant autour de notre thématique des doctorants, enseignants et artistes venant d’horizons divers : philosophie, études cinématographique et plastique, anthropologie, histoire, sciences de l’éducation, psychanalyse, infographie, littérature. Il s’agit de confronter les différentes perspectives ouvertes par ces différents champs et d’organiser le débat ainsi ouvert dans la durée. Une telle organisation pourra être l’occasion de faire dialoguer ces différents champs au-delà des cloisonnements universitaires. Nous ne tenterons pas de réduire ces différentes positions les unes aux autres. Au contraire, ces différentes approches peuvent permettre de dégager un champ méthodologique et conceptuel large. Il s’agit de tenter de faire travailler ensemble des conceptualisations sans rapport entre elles mais cherchant toutes à penser cette relation entre incorporation et subjectivation dans leurs champs particuliers. Il
s’agira, dans cette perspective, d’organiser notre travail dans la
durée pour valoriser et maintenir la dynamique de ce dialogue. Le
soutien de la MSH Paris Nord donnerait l’opportunité à notre équipe,
provenant d’universités différentes et travaillant dans des domaines et
lieux différents, de se rencontrer et de travailler dans un cadre
propice au développement de sa recherche. La tenue régulière d’un
séminaire constituerait le cadre formel de ces rencontres dont la
vocation est de construire en commun un ensemble théorique hétérogène.
Un tel séminaire nous permettrait également de confronter notre
approche et notre travail à des intervenants extérieurs – professeurs
(B. Ogilvie), artistes (M. Caro) – qui viendraient nous proposer leurs
éclairages sur des points précis en relation avec notre thème de
recherche. Nous pourrons également accueillir des étudiants extérieurs
(du premier au troisième cycle) venant de divers champs disciplinaires.
Les résultats de ces réflexions croisées auront vocation à êtres diffusés, notamment sur Internet. Nous mettrons en ligne les actes de nos séances. Parallèlement aux activités spécifiques du séminaire, nous essayerons également de publier des articles sur les problématiques du groupe de recherche ainsi formé. Ces travaux se feront sur la base des recherches des membres du groupe autour duquel s’articulera le séminaire, à côté de leurs travaux individuels de recherche sur leurs problématiques propres (notamment pour les doctorants). La mise à disposition des infrastructures de la MSH Paris Nord serait ainsi l’occasion de développer et de diffuser notre recherche
Bibliographie indicative W. Benjamin J. Butler P. Comar C. Dejours G. Deleuze J.-L. Déotte G. Didi-Huberman M. Douglas U. Ecco (dir.) M. Foucault, D. Haraway H.-P. Jeudy T. de Lauretis J.-F. Lyotard Y. Michaud L. Pearl J. Rancière P. Schilder
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