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1 juillet 2009

Pina Bausch


BENJAMIN CHAIX | 01.07.2009 | 00:01/ 24 Heures

Il faut s’être trouvé aux abords du Théâtre de la Ville, à Paris, dans l’heure qui précédait un spectacle de Pina Bausch, pour comprendre le véritable culte que son public lui rendait. Dans les couloirs du métro ou sur la place du Châtelet, on se heurtait à ses adorateurs se promenant une pancarte à la main, avec écrit dessus: «Qui vend un billet pour Pina?»

Pina! Un prénom que les connaisseurs n’avaient pas besoin de faire suivre d’un nom pour évoquer la personne, son art (le fameux Tanztheater), ses interprètes (des femmes en jupon, cheveux longs et pieds nus) et ses disciples. Et les danseurs, lorsqu’ils disaient: «J’ai auditionné chez Pina» (le plus souvent sans succès) en tremblaient encore d’émotion.

Foudroyée par le cancer
Pina, de son vrai nom Philippina Bausch, était née le 27 juillet 1940 à Solingen, dans cette Ruhr industrielle où elle est apparue en public pour la dernière fois il y a quelques jours sur la scène de l’Opéra de Wuppertal. Elle est morte mardi matin, foudroyée par un cancer dépisté seulement cinq jours avant son décès.

D’aspect austère, maigre et pâle créature comme surgie d’un fantasme d’Allemagne lessivée par la guerre, Pina Bausch impressionnait. Malgré son âge – après tout, elle n’avait que 68 ans – la grande artiste était nimbée d’une aura digne de celle d’un Béjart octogénaire ou d’un Cunningham nonagénaire.

Le chorégraphe romand Gilles Jobin souligne ainsi qu’«elle était aussi importante que Béjart», tandis que Foofwa d'Immobilité, chorégraphe genevois, salue «l’effervescence qu’elle avait apportée dans les années 1970 et 1980».

La chorégraphe américaine Carolyn Carlson résume la tristesse générale: «Elle laisse un grand vide dans l’univers.» Il faut dire que la fascination que ses spectacles exerçaient sur un public d’initiés éparpillés dans le monde entier, et surtout l’extrême rigueur de sa démarche artistique, lui avaient conféré très tôt un statut d’icône de la danse moderne.

La révolution Tanztheater
Si Pina Bausch dansait elle-même – on l’a vue en octobre 2002 au Grand Théâtre dans son emblématique Café Müller –, elle était surtout une directrice d’acteurs et une metteuse en scène aux ressources créatives inépuisables. Héritière de l’expressionnisme allemand et particulièrement de Kurt Joos, fondateur de l’école Folkwang d’Essen, elle a inventé dans les années 1970 et 1980 un genre théâtral nouveau, appelé Tanztheater.

«Tanz», parce que les interprètes de ses pièces dansaient bien un peu, mais surtout parce qu’ils avaient le mouvement pour langage et qu’ils étaient fondamentalement eux-mêmes avant d’être les personnages d’une comédie. Choisis pour leur singularité, leurs fêlures, leur expressivité, leur sens de la scène et leur allégeance à un processus créatif basé sur l’introspection, ils servaient des spectacles à la fois baroques et surréalistes, sensuels et parodiques.

«Theater» parce que Pina ne négligeait aucune des possibilités offertes par le théâtre, de la voix à la musique, en passant par les décors et les accessoires. Ceux-ci parfois accumulés à profusion, comme les milliers d’œillets de Nelken, les pelletées de terre du Sacre du printemps ou les chaises de Café Müller. D’ailleurs le théâtre contemporain a beaucoup puisé chez Pina, s’inspirant avec plus ou moins de bonheur de son extraordinaire liberté (doublée d’une discipline de fer) et de son sens de l’image forte. Attention, celles et ceux qui feront du Pina après Pina seront jugés par ses adorateurs en deuil.

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