Dopage
Florian Egly (sport24.com)
09/06/2009 | Mise à jour : 15:39
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Bernhard Kohl estime que les 10 premiers du Tour 2008 étaient dopés
Crédits photo : Reuters
Dans un entretien accordé à L'Equipe, Bernhard Kohl explique comment il s'est dopé sur le Tour de France 2008, qu'il avait terminé à la troisième place avant d'être contrôlé positif. L'Autrichien remet notamment en cause l'efficacité de la lutte antidopage.
La préparation du Tour 2008 :
«Un
nouveau Tour se prépare dès le lendemain de celui qui s'achève. Au mois
d'août 2007, j'ai donc subi un prélèvement de sang destiné à être
utilisé pour le Tour 2008. Puis un deuxième en novembre. Un litre à
chaque fois. J'avais donc deux litres à disposition. Mon sang a été
préparé, les globules séparés du plasma, puis codés et congelés.»
Les transfusions sanguines :
«J'ai
commencé en 2005 avec le laboratoire autrichien Humanplasma. Pour eux,
en me permettant de tricher ainsi, ils avaient le sentiment de rétablir
une sorte d'égalité des chances dans le peloton. Puis, il y a eu le
scandale des Jeux de Turin, en février 2006, dans lequel ont été
impliqués des fondeurs autrichiens clients de ce laboratoire. Ça a fait
trop de bruit. Stefan Matschiner, mon manager, a décidé qu'il fallait
faire ça plus discrètement. Il a décidé d'acheter le matériel
nécessaire, j'ai participé au financement, 20 000 euros de ma poche.
Les machines sont arrivées début 2007. C'est pour 2008 qu'il a été
décidé que je méritais le top du top.»
Le dopage sur le Tour 2008 :
«J'ai
effectué trois transfusions. La première après la sixième étape, la
deuxième avant les Pyrénées, la dernière avant les Alpes. J'ai toujours
pratiqué les transfusions 48 heures avant les étapes capitales : vous
n'êtes pas au top dès le lendemain, il faut attendre deux jours pour
que les effets soient tangibles. L'EPO, l'hormone de croissance,
l'insuline, je prenais ça avant, pas pendant.»
L'évitement des contrôles :
«Mon
manager a effectué trois fois le voyage d'Autriche, en avion. Il
décongelait le sang là-bas, le transportait conditionné dans la soute
et l'amenait à l'hôtel (…) Les gars de Humanplasma l'avaient formé.
Vous savez, c'est simple : les kits sont prêts. Faut pas se tromper
dans les codes, c'est sûr. Une erreur et t'es mal… On faisait ça vers
18, 19, 20 heures. Il m'envoyait un message : «tu peux passer dans ma chambre». Je disparaissais vingt minutes, pas plus. Personne ne remarquait rien.»
Les contrôles rétroactifs de l'EPO CERA :
«Quand
j'ai appris que l'Agence française de lutte contre le dopage allait
procéder à de nouvelles analyses, j'ai accusé le coup. J'ai cherché à
me rassurer : OK, j'étais mort, mais nous étions tous morts ! Bien
d'autres coureurs en avaient pris. Qu'allaient faire les autorités
françaises ? Supprimer le classement complet du Tour ? Bizarrement,
nous n'avons été que trois à plonger. J'ai la conviction que les dix
premiers auraient pu être positifs. C'est tombé sur moi, tant pis.»
Le passeport biologique :
«Les
coureurs au top sont tellement pros dans leur dopage qu'ils savent
pertinemment qu'il leur faut garder des valeurs sanguines stables pour
échapper au ciblage. Or, l'UCI nous envoyait systématiquement les
valeurs relevées lors des contrôles inopinés : on se référait donc à
celles-là pour étalonner les suivantes. A la limite, le passeport nous
aidait presque.»
Le dopage dans le peloton :
«Je
crois, pour ma part, que les coureurs dopés trompent les spectateurs,
ça c'est indiscutable. Mais pas les cyclistes. Les gars ne trichent pas
sur les efforts fournis, ils souffrent. Ils apprécient et respectent
les efforts des autres, sans tenir compte du dopage. Il y a comme une
sorte d'organisation sociale dans le peloton qui fait que ces choses
sont acceptées.»
Sa retraite :
«J'ai
avoué m'être dopé depuis toujours, dès l'âge de 19 ans. J'ai tout dit.
Et j'ai collaboré avec la police depuis octobre 2008 dans le cadre des
affaires instruites dans mon pays. Que puis-je faire de plus ? Je
connais les règles dans ce milieu : celui qui parle vraiment ne revient
pas. Je passe donc à autre chose, sans regret. Je n'ai plus guère
d'amis dans le peloton, et je suis bien placé pour savoir que l'on ne
peut pas gagner de grandes épreuves sans se doper.»
Son avenir :
«J'ai
vraiment envie de faire bouger les choses à mon niveau : œuvrer dans la
prévention auprès des jeunes. Participer à des conférences. Je suis
prêt à témoigner partout, à rencontrer des représentants de l'Agence
mondiale antidopage. A eux de voir. Le but, c'est de cesser de tromper
le public (…) Tant que la consommation de produits dopants ne sera pas
pénalisée judiciairement, que les gars n'iront pas en prison pour ça,
les choses ne changeront pas.»
Bernhard Kohl a été contrôlé positif à l'EPO CERA le 13 octobre 2008 alors qu'il avait terminé 3e du Tour de France et remporté le Maillot à Pois. Suspendu deux ans, il a annoncé sa retraite le 25 mai dernier. Il fait l'objet d'une enquête pénale en Autriche pour trafic de substances dopantes. Les transfusions sanguines autologues (injection de son propre sang) sont encore aujourd'hui indétectables