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7 janvier 2009

J'attends un enfant

En 1953, lorsqu'elle attend son premier enfant, Laurence Pernoud a 35 ans. Née Secretan, le 13 octobre 1918 d'un père suisse et d'une mère grecque, elle a passé son enfance à Paris dans une fratrie de trois enfants, avant de faire des études de droit et d'anglais. Fonder une famille ? Dans les années 1940, ce n'est pas sa priorité. La jeune femme se veut indépendante, s'essaie ici ou là au journalisme.

En 1952, la voici jeune fille au pair à New York. Elle y rencontre son futur mari, Georges Pernoud. Journaliste à Paris Match, détaché à la rédaction de France- Amérique, celui-ci lui demande un article sur Monet, lui propose de la documentation... et l'invite à dîner pour plus amples détails. Un an plus tard, Laurence Pernoud est enceinte. Cherchant un ouvrage répondant aux questions que lui pose sa grossesse, elle constate qu'il n'existe pas. Stupeur.

"Ce fut pour elle comme une révélation, raconte son fils aîné, Jérôme. Elle décida aussitôt de se lancer dans la rédaction de ce livre qui lui manquait, et de mener au préalable l'enquête nécessaire." Pour cette perfectionniste à la rigueur morale toute protestante, la tâche se révèle plus ardue que prévu. "Elle n'était pas médecin, c'était une femme et nous étions dans les années 1950 : de nombreux obstétriciens ont tout d'abord refusé de collaborer avec elle." Trois ans plus tard - l'année de la naissance de son second fils, Emmanuel -, J'attends un enfant est enfin publié.

Le succès est immédiat. Pour la première fois, un livre destiné aux mères de famille aborde dans un style direct et simple les aspects scientifiques, médicaux, psychologiques de la grossesse. "Ma mère disait toujours qu'elle était une affective primaire, et cela se sent dans ses livres", poursuit son fils. S'ils se sont imposés, ce n'est pas seulement grâce au sérieux de leur contenu. C'est aussi, c'est surtout, parce qu'elle a tissé par ses mots un véritable lien avec ses lectrices.

Comme la psychanalyste Françoise Dolto dans son domaine, elle trouve d'instinct le ton qui rassure et sonne juste. Ainsi : "Discutez avec vos amis de la layette, mais jamais de santé : c'est au médecin et à la sage-femme de vous conseiller." Lorsque paraît, neuf ans après, en 1965, J'élève mon enfant, Laurence Pernoud est depuis longtemps devenue un phénomène d'édition.

Souvent copiés, jamais égalés, les deux livres de Laurence Pernoud figurent parmi les plus importants long-sellers de l'édition française, de l'après-guerre à nos jours. Ils font encore aujourd'hui la fortune de la petite maison d'édition Horay qui les publie depuis l'origine. La nouvelle édition 2009-2010 des deux ouvrages va paraître courant janvier. D'une année sur l'autre, les ventes sont régulières.

Au total, plus de 10 millions d'exemplaires ont été vendus en France, mais aussi à travers le monde, au Japon, en Corée du Sud et en Amérique latine où la version espagnole a répondu à une forte attente. Les deux titres ont été diffusés dans soixante-dix pays en français, traduits en quarante langues, récemment en turc et bientôt en chinois. Ils ont aussi fait l'objet d'éditions pirates.

Plusieurs raisons expliquent l'incroyable longévité du succès de ces deux livres lus par des millions de jeunes mères. Ils bénéficient d'un public qui se transmet l'information. Bien souvent, ce sont les futures grands-mères qui achètent le "Laurence Pernoud" à leur fille qui attend un premier enfant, tous milieux sociaux confondus. Ensuite, comme l'explique Agnès Grison, sa principale collaboratrice, qui poursuit l'oeuvre : "Ce sont des ouvrages précis et scientifiques, mais aussi personnels et empathiques." Très tôt, Laurence Pernoud s'est en effet entourée d'une équipe pluridisciplinaire pour réactualiser ses ouvrages, suivre les progrès de l'obstétrique, l'apparition de l'échographie, etc. L'éditeur Philippe Rey, qui a travaillé avec Laurence Pernoud chez Stock, donne aussi l'une des clés de son succès : "Les véritables auteurs de ses livres, ce sont ses lectrices. A chaque nouvelle édition, Laurence Pernoud intégrait leurs remarques et conseils."

Volontiers frivole dans sa jeunesse, celle qui aimait la mode, les boîtes de nuit et le chant - elle s'était présentée au conservatoire d'art lyrique - a trouvé sa voie. Désormais, sa vie s'organisera autour de l'édition. Dans les années 1970, elle devient directrice de collection chez Stock et publie une centaine d'ouvrages qui traitent de la maternité et de la petite enfance, avec des spécialistes connus comme Hubert Montagner, T. Berry Brazelton, René Zazzo.

Après le succès de l'ouvrage de sa belle-soeur, l'historienne Régine Pernoud, La Femme au temps des cathédrales, elle crée, toujours chez Stock, une collection "La femme au temps..." et publie notamment La Femme au temps des pharaons, de Christiane Desroche-Noblecourt. Sa collaboration avec les éditions Stock s'interrompt au milieu des années 1990.

Les féministes ne l'aimaient guère : croyante et conservatrice, Laurence Pernoud ne remettait en cause ni la société ni le statut de la femme. En 1981, elle n'en publia pas moins Il ne fait pas bon être mère par les temps qui courent, ouvrage dans lequel elle réclamait notamment la semaine de 35 heures pour les mères de famille. De même accepta-t-elle sans hésiter de figurer sur la liste présentée par Simone Veil aux élections européennes de 1984. Quitte à déplaire à la frange de son lectorat la plus opposée à l'avortement.

Depuis la parution de ses deux premiers livres, celle qui disait "avoir construit sa vie avec des virgules" n'a cessé de recevoir un volumineux courrier, auquel elle avait à coeur de répondre personnellement. Grand-mère de plusieurs petits-enfants, elle avait pris ces dernières années une certaine distance avec son travail.

Elle continuait de lire les épreuves, de vérifier le choix des photos, mais d'un peu loin. Assurée que l'aventure qu'elle avait initiée continuerait après elle.

Le Monde . Alain Beuve-Méry et Catherine Vincent

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