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3 décembre 2008

Jean Luc Moulène

Jusqu'alors connu pour sa série Documents/objets de grève, Jean-Luc Moulène développe un regard critique et singulier sur la cruauté tangible de notre société. Sur les cimaises du Jeu de Paume, se succèdent une quarantaine de photographies récentes, pour la plupart inédites en France.

Jean-Luc Moulène utilise le langage visuel du marketing et de la pub, des codes communs perceptibles par le plus grand nombre. En provoquant un réapprentissage du regard, l'artiste invite à se dévêtir de ses habitudes visuelles, à ne plus voir sans voir, à prendre le temps de détailler l'image, qui, ici, contient nombre de références, de détails et de connexions à déchiffrer. Une attention toute particulière est demandée au « regardeur ». Le regard pressé, le visiteur passera à côté des images, car en surface tout est calme. Les compositions ont des allures simplistes, ses photographies ont un aspect léché, mais recèlent en réalité plusieurs niveaux de lecture. En s'attardant quelques instants, les jeux de résonances laissent surgir la cruauté tangible de notre société. Cet instant du surgissement apparaît telle une claque. Un « instant décisif » dans l'appréhension de l'image. La photographie, ici considérée comme un objet d'étude, explore la notion de document dans sa conception la plus large. La notion de témoignage, souvent présente, accompagne un processus d'archivage liée à la pratique même du médium. Le casting, utilisé pour la série des Filles d'Amsterdam, s'énonce alors comme une forme singulière de collection.

« Une présence agissante »
À première vue, les treize photographies de prostituées de la série des Filles d'Amsterdam, axe central de l'exposition, divulguent des femmes nues en position frontale. Alliance entre la photo d'identité et la photo pornographique, cette série est la plus politiquement lisible de l'exposition. Le visage et le sexe sont sur le même plan et proposent au spectateur un choix, plus ou moins confortable. La position frontale, référence directe à la statuaire africaine, la cruauté du sujet, le surgissement de la figure, provoquent cette « présence agissante », attribuée à l'icône. La configuration de l'accrochage rappelle l'arène. Cette salle, sous un aspect statique, est en ébullition, en mouvement perpétuel d'émotions, de perceptions des images, d'absorption, voire de fascination.
Jean-Luc Moulène compare volontiers le statut ambigu des prostituées à celui de l'artiste. Il n'existe pas de définition mais un marché... Il conçoit le statut de l'artiste comme dépendant de la communauté et réfute l'image d'Épinal de l'artiste libre : « C'est un besoin social, pour maintenir un ordre répressif, comme on a besoin du cirque pour exprimer un chaos. L'artiste exprime la liberté. (...) Il ne vous donne pas la liberté, il vous exprime des moyens de vous éveiller et d'acquérir cette liberté par vos propres actions de libération ».

Le fond révèle la figure
Dans une salle initialement réservée pour une sélection rétrospective et à l'écart dans le circuit de l'exposition, les dessins tiennent une place particulière, comme dans le travail de l'artiste. Ils participent activement au cheminement de sa réflexion sur les rapports entre le fond et la figure. Ses processus plastiques invitent le fond à révéler la figure, toujours dans une dimension politique. Véritables images-icônes, les Produits de Palestine ou les Filles d'Amsterdam instaurent un rapport des images au pouvoir. « La photographie rend visibles des faits et des signaux, souligne Jean-Luc Moulène, qui échappent ou non aux rapports de pouvoir ». Il s'empare des codes visuels de l'espace social, parfois sur des supports inhabituels (encarts de presse, panneaux publicitaires...). Ses mises en scènes rigoureuses, toujours prises à la lumière du jour, de produits de consommation ou de femmes, interrogent la notion de représentation. La Faucheuse, Les méduses ou Bi-fixe démontrent qu'il trouve le ton juste en y insérant une dimension poétique.

« Tableaux photographiques »
Les modèles, le portrait, le nu, les vanités, les références à la peinture sont très présentes. « Ce n'est pas une référence à la peinture au sens du geste du peintre, précise Jean-Luc Moulène, ou de la figuration que les peintres ont engagée. C'est une relation à la plastique en général ». L'attention qu'il porte aux couleurs, à la composition, dévoile cette démarche de plasticien. Le désir de qualifier ses photographies de « tableaux photographiques » est grand. Non pas dans le sens où l'entend l'historien d'art Jean-François Chevrier, c'est-à-dire une réflexion historique et formaliste qui aboutit à la notion de forme-tableau, mais dans une dimension rhétorique. Pour Moulène, « ce sont finalement de faux tableaux à usage documentaire ». Le travail de Jean-Luc Moulène semble inclassable. Nourris de son immense culture visuelle, ses travaux débordent, vont chercher leur essence à l'extérieur. Ainsi s'invente le cliché. « La pensée est un acte qui va vers l'extérieur. L'art est ce qui apparaît ». On ne saurait mieux dire...

Jean-Luc Moulène
du 15 mars au 22 mai 2005
Jeu de Paume site Concorde
1, place de la Concorde 75008 Paris
Du mardi au vendredi de 12h à 19h, le samedi et dimanche de 10h à 19h, nocturne le mardi jusqu'à 21h, fermeture le lundi
Plein tarif : 6 euros / tarif réduit : 3 euros
T 01 47 03 12 50 / Répondeur 01 47 03 12 52

Crédits Illustrations :
- Jean-Luc Moulène Bi-Fixe Paris, 7 septembre 2003 (détail) © ADAGP, Paris 2005 Photos Courtesy Galerie Chantal Crousel
- Jean-Luc Moulène Méduses São Paulo, 7 avril 2002 © ADAGP, Paris 2005. Photos Courtesy Galerie Chantal Crousel
- Jean-Luc Moulène La Faucheuse Haute-Savoie,16 juin 2000 © ADAGP, Paris 2005 Photos Courtesy Galerie Chantal Crousel

Ophélie Lerouge

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