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24 juillet 2008

Kris Verdonck

http://www.festival-avignon.com/index.php?r=29&pid=120592727953

Battements de corps

Performance. Le Flamand Kris Verdonck explore les relations homme-machine aux Rencontres d’été de la Chartreuse, dans le Gard.

Envoyée spéciale à Villeneuve lez Avignon MARIE LECHNER

QUOTIDIEN : jeudi 24 juillet 2008

Variation IV de Kris Verdonck 35es Rencontres d’été de la Chartreuse, à Villeneuve lez Avignon (Gard). Dernières ce soir à 21 et 23 heures. Rens. : www.chartreuse.org

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Immergé dans un bocal empli d’eau, un homme en costume, attaché-case à la main, se tient immobile, le regard vague. Dans la pièce confinée résonnent ses battements de cœur et ses expirations, paysage sonore asphyxiant où la vie ne tient qu’à un tuyau qui l’alimente en oxygène.

Ces cœurs qui cognent forment la bande son tragique du spectacle déambulatoire de Kris Verdonck, qui entraîne le public dans les entrailles de la Chartreuse, lui-même prisonnier d’un dispositif dont il ne peut s’extraire.

Poupée. Pris entre deux feux, un soleil atomique suffoquant, dont on se protège en chaussant des lunettes noires, et une pluie de flammes à la beauté sinistre dont les forts relents de pétrole annoncent l’apocalypse ou quelque calamité climatique, les spectateurs avancent dans ce cabinet de curiosités, entre installations et performances. Variation IV explore les tensions entre l’homme et la machine, mêlant machines presqu’humaines et corps-objets, maltraités par des technologies envahissantes. Dans Heart, une fragile silhouette habillée d’une robe blanche se tient devant le public, l’air hagard. Toutes les 500 pulsations, son corps attaché à un filin est propulsé dans les airs contre un mur où elle s’écrase, telle une poupée de chiffon. Elle se relève encore et encore, malgré son cœur paniqué, qui bat de plus en plus vite et sur lequel elle n’a aucun contrôle. Elle résiste, comme le sublime ballet aérien de Duet, où deux corps amoureux s’accrochent, se serrent, s’entrelacent inlassablement pour contrecarrer les mouvements circulaires de la machine invisible à laquelle ils sont asservis.

A mesure que l’on progresse dans ce dédale de visions minimales et intenses, l’homme, submergé, finit par lâcher prise, «nature morte vivante», comme le noyé anesthésié de In ou le corps figé dans son cercueil de tiges de métal de Patent Human Energy (titre inspiré d’un brevet déposé par Microsoft consistant à utiliser le corps humain comme une batterie pour le petit matériel électronique), dont l’intensité lumineuse varie en fonction des sons émis par l’organisme.

L’écrin monastique sied à ce théâtre sépulcral réduit à l’extrême, quasi mutique, sensoriel, qui frappe par la puissance de ses images. Chez Verdonck, les technologies ne sont pas un élément du décor, un outil au service de la mise en scène, elles se situent au cœur du questionnement. Le metteur en scène interroge leur impact sur l’homme dans un monde façonné par elles (GPS, portable, ordinateur…), prothèses auxquelles il se remet de plus en plus, renonçant à sa liberté pour améliorer ses performances.

Cette dépossession alimente la réflexion de Verdonck. Le metteur en scène et plasticien flamand, né en 1974, «invente des objets ; des machines qui ont une influence physique sur les acteurs», dont la seule limite est la «mise en danger des corps» des interprètes. Un danger bien réel et palpable. L’une des installations, Heart, a fait deux blessés, l’actrice qui s’est broyée la cheville et Verdonck lui-même qui, en montrant la manœuvre à sa remplaçante, s’est fracturé le coude. «On l’a pourtant joué de nombreuses fois… La malchance», soupire-t-il.

Kris Verdonck, qui cherche sur scène à «"tuer" l’acteur», poursuit ses investigations homme-machine dans un projet intitulé Actor #1, qui a pour point de départ cette question : «Un robot peut-il prononcer ou jouer un texte de Beckett sur scène ?»

La Chartreuse, centre national des écritures du spectacle, a proposé à l’artiste, associé à la dramaturge Marianne Van Kerkhoven, d’élaborer un travail de recherche sur le théâtre avec des robots, dont ils ont présenté les premières réflexions à l’occasion d’une passionante «sonde». Le mot est emprunté à Mac Luhan, théoricien de la communication, qui envisageait le théâtre comme une «multisonde» pour sa capacité à combiner plusieurs médias.

Depuis 2007, sous l’impulsion de Franck Bauchard, directeur adjoint de la Chartreuse, cette maison des auteurs s’ouvre à de nouveaux champs d’expérimentation (arts plastiques, médias, performance, danse, musique…), déployant largement la notion d’écriture au-delà du texte et confrontant des domaines artificiellement différenciés, comme, ici, l’art et la science.

Pour nourrir leur projet Actor #1, Kris Verdonck et Marianne Van Kerkhoven ont sollicité de nombreux scientifiques autour de questions comme «une machine pourra-t-elle un jour penser, manier la langue, feindre ou mentir ?», «des êtres rationnels seraient-ils capables de jouer ?»

Poubelles. La «sonde» ouverte au public confrontait mardi les avis contradictoires d’un généticien, un neurochirurgien, un expert en intelligence artificielle, un spécialiste en robotique, un mathématicien-philosophe et un chercheur en littérature. Il fut question d’«homoncule» et de «golems», de «transhumanisme» et de «perceptions fantômes», de «stimulation transcrânienne», de processus d’apprentissage des robots et de leur capacité à créer leurs propres langages.

Approches foisonnantes qui font échos aux textes de Beckett, à son «théâtre du "non corps"» où les acteurs disparaissent sur scène, immobilisés dans des poubelles ou ensevelis dans le sable, privés de leurs capacités sensorielles, réduits à des têtes qui parlent. Beckett qui par ailleurs s’appropriait toutes les technologies de l’époque, concevant pièces pour acteur et magnétophone, pour la radio et pour la télévision.

La Chartreuse ainsi dépoussiérée a amorcé d’autres projets, explorant les mutations de l’écrit, les mondes virtuels (Sylvain Renard y a achevé l’écriture de sa pièce, Openspace, comédie technologique sur Second Life), des «objets scéniques non identifiés» comme les Conférences du dehors conçues par Thierry Fournier, qui mêlent écriture, art plastique, performances. Elle vient enfin de déposer un projet de recherche sur la robotique et l’art performatif à l’Agence nationale de la recherche.

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