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21 mai 2008

Les Récits Otaku/ Jules Henri Greber

Les récits Otaku sont ainsi, d'une manière ou d'une autre, un domaine expérimental fictionnel de l'hybridation corporelle et identitaire. Ils soulèvent plusieurs problématiques liées à l'hybridation du corps naturelle par un corps ou des éléments artificiels et mécaniques.

Les récits-otaku manifestent ainsi le désir de modifier l'homme. Aujourd'hui la science semble permettre une telle évolution et l'on peut désormais espérer accéder à un autre niveau de vie grâce au développement de la génétique, de la cybernétique ou de l'informatique. On désigne désormais par les termes d'« homme augmenté » les multiples possibilités d'amélioration (qui exploite la plasticité de son corps) de l'humain par l'artificiel. La culture de masse reflète et innerve ces aspirations à une transformation de l'homme. Aux Etats-Unis, ce rêve d'un « surhomme » se manifeste à travers les comics et les dessins animés populaires, qui ont durant longtemps propagé l'image d'un « super-héros » comme Superman, Spiderman, Batman, X-men. Au Japon, il semble que cette figure surhumaine soit remplacée par celle de « supers robots ». L'importance de ces machines dans les manga et les anime Japonais est liée à un genre et à un contexte socioculturel particulier. Connu en France par le biais de la diffusion de Goldorak, le robotto anime (dessin animé de robots) a longtemps servi d'image d'Epinal pour désigner les productions nippones. Ce genre spécifique à la science-fiction Japonaise cultive un imaginaire des rapports entre l'homme et la machine qui se répand dans les pays où ces séries sont diffusées. Certains auteurs en viennent même à parler de diffusion d'un techno-orientalisme. Si on essaie de retracer les grandes lignes de l'histoire des robotto anime, genre dominant dans la SF japonaise des années 70 à 90, pour analyser les multiples interactions imaginées entre l'humain et l'artifice technologique, on remarquera très vite que Le robot entretient avec son pilote un rapport tout d'abord instrumental (Goldorak...) pour aboutir dans les séries les plus récentes une relation véritablement fusionnelle (Evangelion, Rahxephon...) qui se caractérise par une hybridation du corps. Alessandro Gomarasca parle même de mecha-corps.

Les récits Otaku posent aussi la problématique du virtuel. Dans Lain, le protagoniste principal est confronté au problème de son identité multiple lorsqu'il pénètre le wired (internet). Peut-on encore parler d'un individu unique lorsque celui-ci s'émancipe de son corps propre pour pénétrer un monde virtuel dans lequel il lui est loisible d'incarner une multiplicité d'identité?

Les récits Otaku, mais aussi le phénomène Otaku lui-même, posent la problématique de l'hybridation sexuelle[3]. Quel est le degré sensoriel éprouvé lorsque nous avons une relation virtuelle, fictionnelle ou « plastique »? Est-ce une sensation purement artificielle n'affectant aucunement le corps naturel, ou peut-on parler d'une quasi-sensation qui interragit sur le corps physique?

A travers le cosplay, le phénomène Otaku pose le problème de la représentation sociale du corps. Un corps naturel peut-il incarner un discours fictionnel?[4] 

A travers les différents récits spécifiques (homosexualité, récit pour femmes, pour hommes, pour adultes ou adolescents), le phénomène Otaku et ses oeuvres sonnent comme l'écho des revendications des genders studies. Les shôjo (récit pour femme)  explorent souvent des formes de sexualité non traditionnelle, notamment à travers le thème du travestissement et de l'amour lesbien[5]. La représentation de l'hermaphrodite est aussi présent dans les oeuvres Otaku (ranma ½...). « Le travestissement et la représentation d'un homoérotisme dans les manga visent ainsi à modifier la représentation des genres et surtout le modèle relationnel dominant dans une société où confucianisme et patriarcat ont régné durablement [6]».

Nous voyons ainsi que le phénomène Otaku et ses récits contiennent une véritable réflexion épistémologique sur le corps post-moderne et ses représentations[7]. Le discours Otaku expérimente en quelque sorte, à travers la fiction devenue quasi-réelle, les possibilités et la plasticité indéfinie d'un corps post-moderne libéré d'un récit traditionnel.

Pour compléter :

Horiki Azuma, Génération Otaku, éd. Hachette, 2008

Bernard Andrieu, Mutations sensorielles, éd. Le-Mort-Qui-Trompe, 2008

Etienne Barral, Otaku : Les enfants du virtuel, éd. J'ai lu, 2001

Alessandro Gomarasca, Poupées, robots, la culture pop japonaise, éd. Autrement, Coll. Mutations, 2002

Thierry Groensteen, L'Univers des mangas, Casterman, Paris, 1991

Récits Otakus sur le phénomène :

Gainax, Otaku-no-video, éd. Dybex

Maki Murakami, Genshiken, éd. Kaze

Article en ligne :

http://etc.dal.ca/belphegor/vol3_no2/articles/03_02_Suvila_robotg_fr_cont.html#note37ref Article sur le rapport pilote/robot.

http://www.imageandnarrative.be/graphicnovel/bounthavysuvilay.htm#_ftnref1 Article sur les shôjo.

Toshiya Ueno, Japanimation and Techno-Orientalism, http://www.t0.or.at/ueno/japan.htm

Junji Ito, « Toward a Humanism Beyond Humanity », in « Robot-ism 1950-2000 - From ASTROBOY to AIBO », Agency for Cultural Affairs Media Arts Festival Special Exhibition (Jam3), http://www.cgarts.or.jp/jam3/eng/comment.html

Sharon Kinsella, « Amateur manga subculture and the otaku panic », Journal of Japanese Studies Summer 1998  http://www.kinsellaresearch.com/nerd.html

http://www.ceri-sciences-po.org/themes/manga/publications.php

Reportage :

http://www.suckmygeek.com/

Jean-Jacques BEINEIX, Otaku, éd. M6 video.


[1]    Après un accident d'automobile, un homme voit son corps muter en une sorte d'aimant ramassant tous les detritus metalliques de la societe.

[2]    http://www.nautilus-anime.com/index_france.php?contenu=accueil/detail_dossier&id_dossier=24

[3]    Cf. L'excelent ouvrage d'Agnès Giard, L'imaginaire érotique au japon, éd. Albin Michel, 2006.

[4]    Le corps post-moderne de l'Otaku qui s'adonne au cosplay serait un corps « en libéré de toutes les contraintes traditionnelles: chacun l'investit comme un mode d'être, un lieu d'inscription et un moyen d'expression privilégié. Ce surinvestissement du corps trouve sa raison dans les aliénations socio-économiques ressenties par le sujet. L'impossibilité de transformer les rapports sociaux, le constat d'un déterminisme de la reproduction, l'échec de la démocratisation scolaire, les limitations de l'intégration culturelle révèlent au sujet un pouvoir réel d'action illusoire. Le sujet se tourne alors vers son corps en l'investissant de toutes les possibilités de son imaginaire » B. Andrieu, op. cit., p.33. Le phénomène Otaku semble donner raison aux philosophes du corps. Ainsi, l'Otaku devient un corps qui a réussi à déconstruire le discours traditionnel pour s'émanciper et découvrir, à travers une fiction quasi-réelle, sa plasticité. A travers leur récit, les Otaku revendiquent un corps hybridé. Ils abandonnent « la posture critique convenue dans laquelle les objets et la technique seraient des dispostifis aliénants » pour embrasser l'hybridation. B. Andrieu, op. cit., p.18.

[5]    Il est important de souligner que le premier manga shôjo qui traite du travestissement date de 1953: Prince Saphir, Ozamu Tezuka. Malheureusement, Lors de la seconde diffusion de ce dessin-animé en France le titre a été changé en Princesse Saphir, ce qui édulcore l'ambiguïté sexuelle de l'héroïne.

[6]    http://www.imageandnarrative.be/graphicnovel/bounthavysuvilay.htm#_ftnref1

[7]    Tout cela reste, malheureusement, en work in progress.

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