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17 mars 2008

Extension du domaine des rituels.

Extension du domaine des rituels. Sur quelques rites dans le travail social

Un numéro de la revue "Le Sociographe" (n° 25, janvier 2008, 10€)


Par Igor Martinache

D’aucuns pourraient penser que parler de rituels et travail social, c’est opérer un joli oxymore. Comment, en effet, pourrait-on rapprocher des paroles et gestes qui entretiennent la force d’un récit mythique des origines et renvoient à l’ordre du sacré et de la croyance avec un ensenmble de professions, procédures et techniques qui sont étroitement liée au projet profane de la modernité de rationaliser les relations humaines « dysfonctionnelles » ? Tel est le paradoxe apparent sur lequel se penche la dernière livraison du Sociographe, la revue trimestrielle de l’Association des instituts de travail social, qui regroupe plusieurs écoles de formation dans ce (vaste) champ professionnel.

Dès son éditorial -écrit d’une plume très lyrique-, le rédacteur en chef, Guy-Noël Pasquet, livre la clé de l’énigme : si ritualité et travail social sont en fait étroitement liés, c’est que tous deux ressortissent d’une démarche commune : celle de « reconnaître avant de connaître », c’est-à-dire de ressentir l’étrangeté du monde qui se manifeste en premier lieu dans le corps (et plus particulièrement le corps de l’autre). L’une comme l’autre réagissent ainsi à l’identification d’une menace potentielle en instaurant à la fois un marquage des corps et une alliance - un mode opératoire qu’ils partagent également avec le Marketing, remarque non sans ironie l’éditorialiste.

Le dossier s’articule ainsi en trois temps : le premier consacré aux « rites majeurs », le deuxième aux « rites mineurs » et le dernier aux addictions, tandis qu’un dernier article est le témoignage d’un ancien prêtre devenu ensuite ouvrier et employé, qui dénonce la ritualité qui entretient l’hypocrisie sociale de la religion contre les véritables signes de fraternité.

Dans le premier article, David Lebreton, professeur à l’université Marc Bloch de Strasbourg et spécialiste de sociologie du corps, interprête les conduites à risques chez les jeunes comme autant de rites de passage nécessaires à l’institution d’une identité adulte et à la prise de conscience de sa propre valeur, en l’absence désormais d’autres rites socialisés assurant cette fonction. Agnès Villain, documentaliste et chargée d’information dans une association de sensibilisation aux situations du handicap et elle-même atteinte depuis sa naissance d’une déficience motrice, raconte ensuite comment les pratiques ritualisées l’ont aidé à accomplir un travail de « reconquête de soi » sur deux plans distincts : réparation du corps abîmé d’une part et reconstruction de son identité de l’autre.

Coordonnateur du dossier et maître de conférence en sociologie à l’université de Montpellier 3, Denis Fleurdorge analyse pour sa part une étape cruciale et commune dans la trajectoire des « usagers » du travail social : l’entretien d’aide initial. A partir d’entretiens ( !) menés avec des assistant-e-s de service social (ASS), il montre ainsi non seulement comment cette étape obligée constitue un « rite de reconnaissance », mais également comment elle remplit une double-fonction quelques peu contradictoire, en ce que l’ASS y reconnaît l’individualité de la personne qui se présente tout en lui assignant alors un statut, celui d’une « déficience sociale ». Il se demande finalement si cette pratique ne renvoie pas à une "utopie de l’ordre" dans la mesure où l’entretien d’aide permet de restituer une appartenance sociale à l’individu qui se présente, et par-là servirait donc au maintien d’un "statu quo social".

Après ces réflexions générales, les articles suivants sont consacrés à l’étude de cas plus plus particuliers. Charles Foxonet, enseignant-chercheur en psychologie à l’IRTS du Languedoc-Roussillon, revient ainsi sur la « controverse du doudou », c’est-à-dire la manière dont, en l’espace de trente ans, cet objet consolateur initialement rejeté pour des motifs hygiénistes s’est progresssivement imposé dans les structures d’accueil de la petite enfance, au point d’avoir acquis le statut d’évidence. Tout cela « grâce » aux travaux de Winnicott, dont l’accent sur le rôle créateur du doudou a cependant été négligé par ses exégètes... Gladys Estève, assistante de service social dans un collège de l’Hérault raconte ensuite une expérience à laquelle elle a participé pour lutter contre la violence scolaire et les problèmes afférents : la formation ritualisée des délégués de classe au cours d’un stage de trois jours. Elle en tire un bilan positif, avançant que cela leur permet d’endosser pleinement leur rôle, et non de s’en tenir à un service minimum et largement passif. Gilles Raveneau, professeur à l’université Paris 10-Nanterre, vient pour sa part décoder quelques rites à l’oeuvre dans les Maisons d’enfants à caractère social (MECS), comme la signature du contrat de séjour ou la cérémonie de départ, dont il souligne à la fois la centralité dans le dispositif et la plasticité.

Psychologue et formateur en école d’éducateurs spécialisés dans le Val-de-Marne, Philippe Péty se penche pour sa part sur la portée et l’utilité de la fabrique de rites dans le travail social. L’une de ces fonctions les moins évidentes est d’être remis en cause, notamment par les psychotiques, ce qui permet de révéler plus largement la place importante des « jeux sociaux » et des injonctions à y participer. D’autres psychotiques sont au contraire extrêmement attachés à certaines routines, qui constituent pour eux de véritables rites. Le rite est ainsi à la jonction entre tradition et modernité, entre individu et collectif, et permet à celui qui les fabrique à la fois d’identifier certains problèmes, et de créer et ordonner une tradition commune.

Respectivement Maître de conférence en sociologie et doctorante en ethnologie et psychiatrie à l’université Montpellier 3, Hélène Houdayer et Pascale Peretti reviennenent enfin sur une question qu’elles admettent ne pas défricher, celle des ritualités à l’oeuvre dans les différents types de toxicomanie. S’intéressant plus précisément aux cas du cannabis et de l’héroïne, leur analyse n’en est pas moins éclairante quant aux contradictions qui se nichent au coeur de ces pratiques, qu’il serait illusoire d’assimiler aux rites traditionnels pouvant mettre en oeuvre certaines de ces substances. Loin de chercher d’emblée la fusion socialisatrice, il s’agit au contraire, dans un premier temps du moins, pour certains héroïnomanes de se disjoindre pour la communauté, même si dans un second temps, ils cherchent selon leurs propres dires à « être vivants parmi les autres ».

Si ce dossier peut parfois donner l’impression d’être "décousu", sautant d’un article au suivant avec un sujet, une approche et un traitement totalement différents, on ne ressort pas moins de sa lecture avec un certain nombre d’éclairages et de questionnements qui intéresseront aussi bien les sociologues que les praticiens du travail social. Les rituels peuvent ainsi constituer un outil très utile pour ces derniers, mais aussi un suet de réflexion primordial. Rien n’est peut-être pire en effet dans ces professions que de tomber justement dans la routine, qu’il ne faut pas confondre justement avec le rituel...

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