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21 février 2008

Anthropologie de l'école

Anthropologie de l’école

Un numéro de la revue "Ethnologie française" sous la direction de Jean-Paul Filiod (n°4, octobre 2007)


Par Rachel Gasparini [1]

Ce numéro de la revue « Ethnologie française » porte sur l’école, sujet fort débattu dans notre société comme le rappelle en introduction Jean-Paul Filiod : chacun s’autorise à donner son point de vue, même s’il n’est pas spécialiste (surtout en France ajouterions-nous), à partir de souvenirs scolaires et de valeurs éducatives subjectives auxquelles il est attaché passionnément.

« Anthropologie de l’école » : de prime abord, le titre pourrait faire craindre la répétition de synthèses déjà effectuées antérieurement au sujet des approches sociologiques-ethnologiques-anthropologiques de l’éducation-l’école. Il n’en est rien : les contributions de ce numéro apportent une avancée pertinente dans ce domaine, sans avoir la prétention de renouveler complètement les objets et les approches méthodologiques (dont les apports, les héritages sont bien resitués), tout en restant dans une perspective scientifique qui ne se sent pas au-delà des débats de sens commun mais qui s’autorise par le travail théorique et de terrain à venir les éclairer. La nouveauté des recherches et des réflexions présentées dans ce numéro tient soit à des objets inédits tenant compte de l’évolution des pratiques sociales à l’école (le théâtre au lycée, l’initiation à l’ethnologie dans les classes), soit à des objets socialement et médiatiquement « sensibles » mais abordés de manière originale (la question de la laïcité et du port du foulard en Turquie, la violence dans les collèges, les conduites à risque à travers les jeux dangereux entre adolescents dans les cours de collège, la construction de l’identité professionnelle enseignante en Grande-Bretagne et en France), soit d’objets déjà travaillés sur lesquels les chercheurs poursuivent leur réflexion et/ou celles de collègues. Il en va ainsi des relations entre professionnels dans l’enseignement secondaire (perspective déjà adoptée par P.Masson), du rôle des ATSEM à l’école maternelle (profession pour l’instant peu étudiée relativement à la profession enseignante, sauf par des auteurs tels que H.Petit), de la culture enfantine et des relations entre pairs dans l’espace scolaire (J.Delalande montre ainsi la continuité de ses travaux qui ont débuté sur le jeu dans la cour de récréation à l’école maternelle et se poursuivent sur le passage en 6ème), des rituels au CP (A.Marchive) ou des jeux dangereux (déjà étudiés par Y.Bour concernant le jeu du foulard, qu’il nomme plutôt « strangulation ludique »).

« Anthropologie de l’école » : Jean-Paul Filiod souligne en introduction combien cette expression est paradoxale (l’anthropologie renvoyant à un positionnement disciplinaire et académique général, l’école à une forme particulière d’éducation), mais il démontre de belle manière combien la juxtaposition ne dénote pas, à travers cinq acceptions de l’expression. Au passage, on peut se demander quand même s’il y a encore une pertinence à vouloir percevoir des différences fondamentales dans les différentes approches sociologiques, ethnologiques, anthropologiques, tant les différents points de vue et les méthodes circulent dans les recherches autour de l’école. Il faut saluer d’ailleurs l’ouverture d’esprit dont font preuve les contributions de ce numéro qui empruntent logiquement beaucoup d’éléments théoriques à l’ethnologie et l’anthropologie sans être enfermées dans une lecture purement relativiste ou culturaliste. Ainsi émerge ici et là une sensibilité à des thématiques plus sociologiques en termes de rapports de domination (par ex. on ne peut pas aborder la scolarisation des enfants d’Afrique francophone sans recontextualiser leur vie quotidienne dans ces pays et resituer l’histoire de leur école initiée par la colonisation, traversée par des rapports de pouvoir entre l’Etat et les populations locales), en termes d’inégalités sociales (par ex. les constructions identitaires différentes selon leurs origines sociales chez les jeunes lycéens turcs ou bien l’inégale sensibilité à l’activité théâtrale telle qu’elle est « scolarisée » au lycée), en termes d’inégalités de ressources disponibles aux professionnels des établissements secondaires selon leur socialisation familiale pour faire face aux problèmes d’ordre scolaire (avec des ressources plus ou moins locales ou « rationnelles »)

Au total en tout cas, il s’agit bien là d’une lecture stimulante et dynamisante, appréciable du fait que les auteurs n’hésitent pas à se positionner théoriquement et méthodologiquement, ce qui laisse les débats ouverts. On peut se demander par exemple s’il n’aurait pas été intéressant d’accorder une place plus importante à l’approche socio-historique (lors même que la dimension spatiale bénéficie d’une partie) qui permet de percevoir combien certaines méthodes actuelles sont proches ou lointaines de pratiques plus anciennes (par ex. les exercices très formalisés du contrôle des tables de multiplication décrites par A.Marchive ne sont pas sans rappeler les procédés lamartiniens ; de même la présence des répétitions, l’utilisation des signes dans l’école lasallienne rappellent à leur manière certains rituels scolaires actuels mais s’en éloignent par leur caractère très systématique, rationnel). De même, on peut s’interroger sur l’absence de recherches croisant plusieurs milieux socialisateurs (école, pairs, familles) qui permettraient de mieux comprendre les réactions différenciées des enfants ou des adolescents scolarisés.

Après avoir refermé ce numéro, une suggestion vient à l’esprit : celle de poursuivre encore les réflexions engagées en demandant à des chercheurs étrangers (sociologues, ethnologues, anthropologues) de venir faire ce travail de « rendre étranger à nous-même » ce qui est notre quotidien scolaire français, cette expérience singulière qui entache tant nos souvenirs enfantins et donc nos certitudes actuelles. Ceci n’est pas sans rappeler les réflexions de l’américain Laurence Wylie venu étudier ce « village du Vaucluse » à la fin des années 1950 et qui s’étonnait qu’on parvienne à laisser de si jeunes enfants aussi longtemps assis dans les classes maternelles françaises.

Cinq dimensions traversent donc ce numéro :

1°) Une partie des recherches sur l’école porte sur d’autres terrains que la France. Sophie Lewandowski analyse ainsi les conditions de diffusion des savoirs locaux (botanique, pharmacopée, agriculture, histoire, littérature orale, morale...) dans les écoles au Burkina-Faso. Si l’école classique nie l’existence des savoirs locaux, de nouvelles écoles qui utilisent les langues locales tentent de concilier savoirs scolaires et savoirs locaux, avec toutefois des incompatibilités (par ex. entre les valeurs d’une culture qui se veut nationale et celles d’une soixantaine d’ethnies), des pratiques résistantes (par ex. la prise en compte des savoirs locaux supposerait de pouvoir laisser s’exprimer les élèves, or la pédagogie dominante actuellement est coercitive et frontale.

Toujours en Afrique, Marie-France Lange a mené plusieurs enquêtes dans plusieurs pays francophones qui permettent de mettre en lumière les modalités de la construction de l’espace scolaire, en lien avec l’histoire de l’école qui a émergé sur ce continent avec la colonisation et en lien avec les réalités sociales actuelles sous-tendues par des politiques économiques de rigueur qui n’ont pas épargné les populations. Considérée jusque dans les années 80 comme une institution efficace et contrôlable, l’école est perçue depuis comme une menace potentielle à l’ordre public, du fait qu’elle regroupe une population jeune souvent à l’origine de mouvements insurrectionnels. Les enjeux spatiaux notamment de délimitation du territoire scolaire dans les villages recouvrent d’autres enjeux d’imposition d’une normativité scolaire. L’auteur donne à voir ainsi comment une forme scolaire qui a été importée par la colonisation s’est adaptée, parfois non sans résistance, dans un contexte social et politique différent du contexte européen dans lequel avait émergé au cours du XVIIème siècle la forme scolaire (Vincent, 1980).

Enfin Buket Türkmen prend pour objet la manières dont les lycéens turcs des années 90 se réapproprient les valeurs nationales, laïques et religieuses dans leur construction identitaire, à travers l’analyse de l’utilisation des symboles comme le voile et la broche d’Atatürk. Cette recherche illustre précisément à quel point les questions de laïcité et de port de signes religieux doivent être replacées dans des contextes historiques et sociaux précis. En effet, ces questions se posent autrement en France qu’en Turquie où la religion n’est pas détachée de l’Etat qui procède à un contrôle de la religion et à une réinterprétation de l’islam. Par ailleurs, l’école vit une crise dans les années 90, ses valeurs sont en décalage avec celles inculquées par la société, ce qui décrédibilise l’enseignement et les enseignants notamment aux yeux des élèves. Ces élements de contexte peuvent expliquer comment certaines jeunes filles peuvent adopter des signes identitaires censés être en conflit, en l’occurence le voile et la broche d’Atatürk. L’auteur distingue trois catégories de jeunes qui cherchent à travers ces signes identitaires à revendiquer leur liberté individuelle : les brochistes (référence à la laïcité kémaliste et la modernité), les foularistes (référence à l’islam), les musulmans-kémalistes (musulmans laïcs). Ces catégories sont inégalement réparties selon les origines sociales, puisque les foularistes proviennent d’un milieu urbain, avec un fort pouvoir économique et culturel qui leur donne une confiance en soi importante et les musulmans kémalistes proviennent d’un milieu rural et de couches sociales défavorisées, beaucoup d’entre eux travaillent après l’école. Enfin il est à noter l’opposition particulièrement forte des filles à l’égard des restrictions visant les choix individuels au nom des choix collectifs, comme le port de l’uniforme à l’école ou la limitation de la mixité des jeunes (norme sociale qui s’accompagne d’un sexisme latent à l’encontre des filles et qui entre en contradiction avec le projet républicain)

2°) Jean-Paul Filiod décline précisément les différentes acceptions du terme « culture », trop souvent rapidement utilisé dans les recherches sur l’école sans percevoir la diversité des réalités qu’il désigne : au sens didactique (connaissance et instruction) mais aussi au sens socio-ethnologique (pratique sociale et mode de vie), les deux dimensions étant intimement liées dans la perspective d’une anthropologie à la fois sociale et cognitive. Loin d’un culturalisme étroit qui risque de guetter les travaux ethnologiques ou l’utilisation qui en est faite (les difficultés de l’école sont alors réduites à une incompatibilité entre la culture scolaire et des cultures particulières), l’institution scolaire est plutôt appréhendée ici comme le « lieu d’une négociation de rôles, inscrite dans un contexte qui offre aux sujets des manières plurielles et complexes de se construire, dans une interaction entre différents cadres » (p.587). Yan Bour interroge ainsi le sens des pratiques liées aux jeux dangereux entre adolescents au sein d’un collège, dans la cour de récréation qui apparaît comme un lieu incontournable de la sociabilité juvénile. Les jeux dangereux sont décrits avec précision dans leurs pratiques et leurs “fonctions” : ils permettent la reconnaissance entre pairs, le défoulement juvénile à l’égard du stress scolaire, l’emprunt aux séries télévisées et l’expression de soi par la rigolade. Ce qui n’est pas sans rappeler la « philia » notion aritotélicienne reprise par Rayou dans « La cité des lycéens » (1998), pour décrire ce “mode particulier de vivre ensemble” entre adolescents, les rapports amicaux indispensables pour supporter la pression scolaire et exprimer son individualité. La créativité ludique juvénile est perçue médiatiquement comme une menace à l’ordre scolaire, alors que l’auteur voit plutôt là une réaction expressive, voire subversive face à un monde scolaire voulant trop quadriller, contrôler, surveiller, supprimer le risque. Ne s’agit-il pas là de stratégies d’existence de la part des adolescents, par des modes d’expression qui ne sont pas nouveaux ? (la strangulation ludique étant une “pratique corporelle immémoriale” pour reprendre le titre d’une publication du même chercheur parue en 2006)

Un autre texte interroge la culture enfantine : après avoir rappelé sa recherche antérieure sur les jeux dans les cours de récréation à l’école maternelle, Julie Delalande pose les jalons d’une recherche en cours sur le passage des élèves en classe de 6ème. Elle poursuit ses investigations menées dans la culture enfantine comprise comme « l’ensemble des connaissances et des comportements attendu d’un enfant par ses pairs pour son acceptation dans le groupe » (p.675) Cette définition permet selon l’auteur de relativiser la relation de domination due à leur situation d’être en éducation face à des adultes, sans occulter totalement les interactions avec les adultes dans l’analyse de la culture enfantine. De même la « société enfantine » est appréhendée avec ses contraintes internes, ses interactions spécifiques, les rapports de pouvoir, de séduction ou de reconnaissance propres à cette micro-société.
Ces travaux sur la culture enfantine sont très stimulants dans leurs regards moins “adulto-centrés” sur les interactions entre les enfants. On peut se demander cependant si la tentative de recueillir une culture qui se produirait presque “purement” entre enfants ne court pas le risque à terme de mettre à l’écart le contexte scolaire, la contrainte adulte qui reste toujours présente dans l’éducation scolaire même en dehors du regard direct des adultes. Par exemple au collège, est-ce ce qui est vécu en classe, notamment en termes de compétition n’a pas des interférences sur la manière de jouer des enfants, soit en reproduisant les hiérarchies de classement scolaire soit en les inversant par opposition aux normes dominantes. Est-ce qu’il ne serait pas intéressant de tenir davantage compte dans l’analyse de la culture enfantine, de la manière dont les enfants vivent la scolarité, le rapport aux professionnels de l’éducation, différemment selon qu’ils sont en maternelle ou au collège ? Ne serait-il pas intéressant d’observer aussi cette culture enfantine dans des lieux non scolaires, plus informels pour voir le type d’interactions générées en comparaison avec celles produites à l’école ?

3°) Ce numéro concourt également à poursuivre les réflexions méthodologiques déjà impulsées par nombre de recherches menées sur les enfants. L’ethnographie s’impose désormais comme une méthode évidente pour les chercheurs en sciences humaines et sociales abordant l’école, mais il n’y a pas consensus autour de sa conception qui ne se réduit pas à un simple contact avec le terrain. Julie Delalande est la plus explicite sur les méthodes employées, poursuivant une réflexion déjà présentée dans un ouvrage collectif antérieur (Danic, Delalande, Rayou, 2006), notamment la délicate question sur la manière d’interroger les enfants tout en réduisant le plus possible les effets de leur relation hiérarchique avec les adultes, qui suppose de passer par une présence prolongée sur le terrain, permettant d’établir une relation de confiance. Son nouveau terrain de recherche du collège est l’occasion d’expérimenter une nouvelle investigation de terrain, en formant les élèves eux-mêmes au travail ethnographique, avec des interviews de pairs et des prises de photos auprès de 5 élèves interrogés en CM2 puis en 6ème

4°) L’une des interrogations originale de la revue porte sur la place de l’anthropologie et de l’ethnologie dans la formation des enseignants, au-delà de la justification normative réductrice de l’augmentation des populations issues de l’immigration. Certes la demande enseignante est légitime concernant l’injonction contradictoire qu’ils reçoivent de concilier une posture universaliste de transmission d’une culture scolaire à un souci particulariste de prise en compte individuelle des élèves et de leurs cultures. Mais cette demande ne doit pas se réduire à un catalogue de cultures. L’apport de l’anthropologie en formation ne se réduit pas à la problématique culturelle, il peut contribuer à l’adoption chez les enseignants d’un autre regard sur les réalités scolaires et personnelles des élèves et à des expériences scolaires d’ateliers ethnographiques par les élèves (pratiques d’enquête par les élèves eux-mêmes). Julie Descelliers, Fabienne Martin, Alexandre Soucaille reviennent ainsi sur les expériences d’une association, « Passerelles », qui initie les élèves à la démarche ethnologique empirique à partir de questionnements à l’égard de leur environnement familier.

Une autre contribution aborde la question de la formation, mais cette fois-ci des enseignants : Régis Malet compare les manières différenciées de construire l’identité enseignante en France et en Grande-Bretagne, pays qui ont en commun une diversification, une complexification des tâches enseignantes mais également la résistance croissante des élèves mais qui diffèrent dans la socialisation anticipatoire des néo-enseignants au cours de leur carrière scolaire et universitaire. Les « dynamiques identitaires » déployées par les enseignants français sont à la fois proches de celles des britanniques (sentiment d’étrangeté culturelle face aux élèves avec lesquels il faut entrer en contact pour rendre possible la situation éducative) et lointaines : les conceptions de la relation éducative et de la profession ne sont pas les mêmes, moins centrées sur l’activité en classe avec une valorisation de la dimension sociale et morale pour la Grande Bretagne ; de même, l’entrée dans le métier paraît plus brutale en France, avec des parcours formateurs moins progressifs.

5°) Enfin nombre de recherches s’appuient en partie sur une approche anthropologique traditionnelle par les rites et les rituels, ceux des élèves ou ceux de l’école.
Alain Marchive souligne à juste titre le fait que l’institution scolaire elle-même reprend la notion de « rituels » qui ont leur place dans les programmes de la maternelle depuis 2002. Il est courant d’analyser l’école comme un lieu de ritualités : rites de passage et d’institution, rites cycliques, rituels pédagogiques en lien avec l’organisation et le déroulement des activités scolaires, rituels « didactiques ». L’auteur choisit l’entrée par cette ritualisation (qui correspond à une organisation scolaire stricte de l’espace et du temps) pour comprendre la mise en place de l’ordre scolaire. Trois types de rituels sont ainsi présentés : l’organisation de la rentrée en classe de cours préparatoire (qui concerne les enfants et leurs parents et qui a une double fonction : de séparation entre parents/enfants et d’instauration de l’ordre en posant les règles et les limites), l’instauration des règles de l’échange dans la classe, les rituels dans les leçons de mathématiques. L’analyse précise des modalités d’application des règles rappelle que celles-ci ne se livrent jamais complètement d’elles-mêmes dans leur énonciation, mais qu’elles se construisent dans la pratique. Les élèves se conforment différemment à la règle, en utilisant éventuellement la marge de jeu inhérente à toute règle scolaire. L’auteur souligne également les risques d’une stabilité trop grande dans les pratiques enseignantes concernant les règles, la routinisation excessive des pratiques, l’ordre scolaire trop rigide, l’invariabilité des formes de l’action didactique. Enfin il est pointé le fait que les rituels repérés en classe par le chercheur ne sont pas forcément visibles par les acteurs eux-mêmes. L’auteur en conclue que les rituels ne doivent pas être imposés aux enseignants, au risque de perdre leur efficacité car ils n’agissent pas directement, mécaniquement mais sont plus présents comme cadres de l’action permettant l’instauration d’un ordre scolaire. Cette approche très stimulante de la question de l’ordre scolaire suscite plusieurs questionnements : ne faudrait-il pas donner plus d’éléments contextuels du terrain choisi permettant de comprendre, par exemple les raisons de l’aisance des parents d’élèves (origines sociales des familles, choix pédagogiques de l’école et de l’enseignant, style de la direction) ? Par ailleurs, le métier d’élève peut-il être décrit comme débutant au CP alors que nombre de pratiques sont préparées et exigées dès la maternelle, notamment en ce qui concerne les échanges verbaux dans la classe.

La notion de rituels est également l’une des entrées pour comprendre la pratique du théâtre en seconde : Claire Lemêtre analyse les modalités d’enseignement de cette nouvelle discipline scolaire qui ne fait pas partie des pratiques artistiques reconnues comme les arts plastiques et la musique et qui est apparue depuis peu comme une option sanctionnée au bac. Des convergences sont soulignées entre le monde scolaire et le monde théâtral, notamment au niveau des systèmes de valeurs. Pour devenir discipline scolaire, le théâtre s’est subdivisé en une partie théorique et une partie pratique. L’espace dans lequel est pratiqué le théâtre est sacré, symbolisé par l’adoption de rituels, avec une tenue vestimentaire et une posture appropriés (ne pas faire de bruit, ne pas manger, être respectueux). Enfin l’auteur souligne combien cet enseignement développe l’ambiguïté d’une perspective didactique sous une forme ludique, qui peut rendre confus les apprentissages scolaires pour les enfants de milieux
populaires. Pour poursuivre la réflexion, il nous semblerait intéressant de voir si toutes les pratiques théâtrales sont acceptables à l’école (ou seulement celles « scolarisables » ou déjà « scolarisées ») et si les interférences entre les deux mondes conduisent à une adaptation plus du théâtre ou de l’école. De la même manière, on pourrait se demander pourquoi il y a de telles convergences entre le théâtre et l’école : 1°) d’un point de vue historique, est-ce que les deux approches n’ont pas été confrontées à une même rationalisation progressive des savoirs (comme cela fut le cas aussi pour la musique, la danse), même si le théâtre n’est pas une discipline actuellement « manuellisée » comme d’autres disciplines scolaires ? 2°) le théâtre n’était-il pas en partie entré dans l’école, à travers l’utilisation qui en est fait dans les cours de français ?

Enfin deux contributions, dans la lignée des cinq dimensions dégagées précédemment, abordent chacune à leur manière la question des relations professionnelles au sein des établissement scolaires.

Marion Rabier et Etienne Pénissat analysent ainsi les problèmes de discipline dans deux collèges de « banlieue » en s’appuyant sur deux niveaux d’analyse complémentaires : la définition des rapports de pouvoir et des normes d’encadrement par les différents professionnels en relation dans un collège (au-delà de la stricte relation pédagogique enseignant-élève, et dans la lignée des travaux impulsés par P. Masson) ; les ressources mobilisées par les acteurs qui jouent un rôle dans leur légitimation. La question de la discipline est souvent réduite à l’opposition entre deux groupes d’individus au sein des établissements scolaires : les adultes (qui détiennent l’autorité légale et le pouvoir de sanctionner) et les élèves. Or les professionnels forment un groupe diversifié, aux fonctions différentes (une majorité d’enseignants et le personnel de direction, de la vie scolaire, de service, administratif, médico-social, de la documentation...) mais cependant liées sans que les délimitations soient claires. Dans un établissement scolaire, la discipline est censée concerner tous les adultes, chacun ayant une légitimité pour intervenir auprès d’un élève. Par ailleurs, la légitimité des professionnels ne se réduit pas à leurs statuts ni à leur position hiérarchique, puisque certains jouissent d’un prestige particulier auprès des élèves (et même des adultes) du fait de leur proximité sociale et géographique ou de leur ancienneté. C’est pourquoi il faut considérer la structure et le volume des ressources mobilisables. Les « ressources de proximité » sont les plus payantes (générationnelle, sociale, géographique), en sachant qu’elles ne doivent cependant pas être utilisées à mauvais escient (une surveillante se voit reprocher sa trop grande proximité avec les élèves) et que certains professionnels préfèrent d’ailleurs ne pas y avoir recours, faisant le choix d’une légitimité plus légale-rationnelle insistant sur le cadre administratif de la fonction. L’auteur démontre ainsi qu’il n’y a pas de politique unifiée, d’où l’injonction à travailler en équipe (mais dont l’application est rendue difficile par le fort turn-over des enseignants et du personnel administratif dans les deux collèges) : les surveillants peuvent fermer les yeux sur certaines pratiques pour se faciliter la tâche, là où d’autres (personnel administratif, enseignants) verront un manque d’application des textes, voire un risque de désordre disciplinaire, ce qui se comprend aussi eu égard à la répartition des tâches et fonctions (un élève en retard perturbe moins le surveillant que l’enseignant dans son cours). Enfin, les normes professionnelles ne correspondent pas toujours aux normes sociales des acteurs, du fait de leur histoire et de leur socialisation familiale : par exemple sur l’interprétation des relations filles/garçons à partir d’une même scène interprétée comme une pratique machiste et violente par un surveillant là où un emploi-jeune ne voit qu’une manœuvre de séduction. Le manque d’homogénéité des conceptions et des pratiques inhérentes à la discipline donne des ressources aux élèves pour résister, contourner ou influencer les décisions les concernant.

Une autre contribution aborde la question des relations professionnelles dans l’espace scolaire, celle de Marie-Armelle Barbier-Le Déroff qui analyse les conditions de travail difficiles des ATSEM auprès des tout-petits dans un univers qui est pensé pour être adapté aux enfants et non pas aux professionnels des écoles maternelles (qui souffrent fréquemment de maux de dos). L’adaptation du mobilier à la taille des enfants, la conception d’un univers essentiellement pensé pour eux (et non pour faire le ménage) a pour corrollaire l’accentuation d’un sentiment de mise en position d’infériorité ressenti par les ATSEM du fait de leur dépendance à l’enseignant et de leur “sale boulot” qui peut se traduire indirectement par des arrêts maladies. Le métier d’ATSEM, s’il est cadré professionnellement par les deux administrations dont il dépend, comporte un certain nombre de tâches dont les définitions demeurent fluctuantes (notamment selon les municipalités et les enseignants). Le flou de la profession se perçoit jusque dans sa dénomination, sujette à de multiples interprétations comme les “filles”, les “dames, les “dames de service”. L’intérêt de cette recherche est de donner la parole à des professionnelles qui sont peu interrogées (relativement aux enseignants) et on peut se demander s’il ne serait pas intéressant de la compléter par des observations participantes. Comme toute profession, il faut distinguer entre d’un côté ce qui se donne à voir, ce qui se dit dans un entretien (la conformité aux attentes officielles prescrites ou la conformité à la norme d’amour à des enfants) et d’un autre les arrangements qu’ont les professionnels, d’autant plus lorsqu’ils ont l’impression de faire un “sale boulot” et qu’il comporte un aspect physique pénible (voir l’exemple qui est donné des roulettes adaptées sur une chaise pour éviter d’avoir à se pencher trop souvent). Jean Peneff a bien montré dans son observation participante dans les urgences d’un hôpital ces différents niveaux dans les professions.

[1] Sociologue, maître de conférences à l’IUFM de Lyon et membre du GRS (Groupe de recherche sur la socialisation, Lyon-2/ENS-LSH).

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