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19 décembre 2007

l'ordre sexué

L’ordre sexué. La perception des inégalités femmes-hommes

Un ouvrage de Réjane Sénac-Slawinski (Puf, coll. "Le lien social", 2007, 364 p., 29€)


Par Frédérique Giraud [1]

En tant qu’être sexué, nous expérimentons deux universalismes contradictoires, celui de l’appartenance à une communauté d’égaux en notre qualité de citoyen, et celui de la différence comme source d’inégalités. La prévalence de l’universalisme de la différence sexuelle sur celui des droits dits naturels, amène Réjane Sénac-Slawinski à se demander si l’on peut penser les différences hommes-femmes dans l’égalité démocratique, et si oui selon quelles modalités ? L’utilisation de la notion d’ordre dans le titre de l’ouvrage a pour ambition d’introduire une réflexion sur la spécificité des différences hommes-femmes dans l’élaboration de l’ordre social et politique d’une société démocratique. L’idée de l’auteure est que « le discours sur les différences hommes-femmes s’inscrit dans la légitimation, voire la construction, d’un ordre naturel, social et politique ».

Cet ouvrage est l’aboutissement d’une étude qualitative sur la perception des inégalités entre les sexes, menée par entretiens semi-directifs auprès de 46 personnes. Il s’agit d’interroger le lien entre les représentations des identités sexuées et celles de l’identité démocratique. Ce questionnement part de l’hypothèse d’une spécificité de la domination de genre par rapport aux autres dominations, dans la mesure où les inégalités entre les sexes se situent au croisement de l’ordre social, économique et politique, et de l’ordre familial et intime. L’actualité du débat des inégalités entre les sexes réside dans la persistance d’un hiatus entre le consensus égalitaire et la réalité des inégalités, récemment remis à jour avec la candidature de Ségolène Royal à l’élection présidentielle de 2007. Celle-ci a mis en évidence un tabou dans la mesure où pour la première fois en France, une femme a été en position de devenir le père de la nation. Les polémiques suscitées par sa candidature, certains aspects de sa campagne et son score au second tour, ont démontré que l’entrée des femmes dans l’espace public par excellence, le monde politique, n’est pas encore acquise. Les mentalités évolueraient-elles plus vite que les pratiques en termes d’égalité entre les sexes ?

L’analyse des entretiens est structurée autour de deux modèles qui rendent compte des systèmes de représentation sous-tendant la perception des différences hommes-femmes. Deux critères de classification son utilisés : en premier lieu, la définition donnée aux notions d’égalité et de différence et leur articulation ; en second lieu, la place conférée à l’« ordre des choses » dans la conception de la société.

Le premier type de modèle dit de l’harmonie naturelle définit les différences hommes-femmes comme tendant naturellement à l’ordre et à l’équilibre social. Il s’organise autour de l’idée que la société tend naturellement vers la justice et le bonheur lorsqu’elle respecte l’ordre naturel conférant aux hommes et aux femmes les fonctions et des places différentes. La réalisation de l’égalité entre les sexes entraînerait l’avènement d’une société totalitaire où la richesse des différences propres à chacun serait niée. Dans cette perspective, la remise en cause de l’ordre sexué actuel constituerait un danger et une atteinte à l’équilibre de la démocratie. Ces modèles associent l’égalité au danger d’un monde excluant les différences, et limitent l’égalité à l’égalité de droit.

Le second type de modèle dit du droit à l’égalité présente, à la différence du premier, les différences hommes-femmes comme des barrières à transgresser pour atteindre une société réellement juste et démocratique. L’ordre politique juste ne pourra être atteint que par une déconstruction des identités de genre. Est dénoncé le cantonnement des différences hommes-femmes au registre naturel en soulignant ses conséquences en termes de dissymétrie identitaire entre les sexes. L’égalité est entendue alors comme une exigence de justice respectant les différences individuelles, elle est la seule garante d’une société réellement démocratique. Les inégalités entre les sexes sont l’illustration du gap entre pratique et théorie et donc illustrent les limites de la citoyenneté telle qu’elle existe actuellement. Les inégalités entre les sexes sont naturalisées. Dans ce second type de modèle, le rapport critique à la réalité fonctionne comme une condition de l’émancipation citoyenne.Les deux types de modèles culturels élaborés pour structurer les représentations des inégalités hommes-femmes correspondent à deux conceptions opposées de la citoyenneté, de l’égalité et de l’altérité. Chaque combinaison est déclinée en deux sous-modèles. Dans la combinaison dite de l’harmonie naturelle, l’adhésion à la complémentarité des sexes se décline en deux principes de justice : le modèle de l’équité et le modèle de l’équivalence. La combinaison dite du droit à l’égalité se compose elle du modèle de l’arrangement social et celui de l’émancipation.

L’ouvrage a été écrit à partir d’une thèse de doctorat en science politique intitulée « Identités sexuées et altérité démocratique - Les représentations des différences hommes femmes dans la société française aujourd’hui » soutenue à l’IEP de Paris en juin 2004. Il s’organise en deux grandes parties, la première intitulée « De l’autorité de l’harmonie naturelle » explore le premier modèle de représentation des différences hommes-femmes et la seconde partie « L’égalité comme seul ordre juste » se consacre au second type de modèle. Les annexes proposent un regard sur la partie méthodologique de l’enquête. Les références bibliographiques de l’ouvrage puisent à la fois dans le corpus philosophique avec, pour fonder les modèles de représentation de l’(iné)galité démocratique, des références à Habermas, Rousseau, Aristote, Locke. Cet ouvrage s’inscrivant dans le champ des gender studies, sont donc abondamment citées les théories féministes. Mais on trouvera également des références à des auteurs du champ de la science politique tels que Badie et des sociologues et anthropologues, notamment Goffman et Héritier. Cet ouvrage s’inscrit donc à la croisée de travaux d’origine diverse et permet de naviguer en compagnie de l’auteure d’une référence à l’autre. Cette multiplicité des sources fait le dynamisme de l’ouvrage.

L’ordre sexué est au final un ouvrage très dense qui pourra intéresser des personnes de tous horizons. La démonstration très riche reste fluide.

[1] Elève en sociologie à l’ENS Lettres & Sciences Humaines.

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D
Aujourd'hui à 15h30 sur France Culture, Jacques Munier s'entretient avec Réjane Sénac-Slawinski- http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/aplusduntitre/fiche.php?diffusion_id=58190&pg=avenir
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