Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Leblogducorps
Leblogducorps
Publicité
Archives
15 janvier 2007

Moustache/ Libération

Symbole absolu du ringardisme, moustaches et barbes font un retour en force chez les clubbers et créatifs. En 2007, elles se portent courtes et architecturées. Comme un accessoire de mode.

La moustache remonte aux nez

Par Cécile DAUMAS

QUOTIDIEN : vendredi 12 janvier 2007

Pratique Le Paris Moustache club, association à but festif créée il y a six mois. www.parismoustacheclub.com Alain, maître barbier qui officie au 8, rue Saint-Claude, 75003. Tél.: 01.42.77.55.80. www.maitrebarbier.com The Glorius Mustache Challenge. Un jeune documentariste américain, Jay Della Valle, a suivi les aventures d'une trentaine d'hommes qui se sont engagés à porter la moustache durant un mois. Certains l'ont très mal vécu... www.gloriusmustache.com

Certains

Sur le même sujet

en désespéraient. L'homme, le vrai, celui qui, négligemment mais virilement, lisse son poil aux commissures des lèvres, semblait en voie de disparition. Or, un soir de décembre, que voit-on au Panorama Bar, l'un des clubs les plus lancés de la nuit électro berlinoise ? Un homme à barbe. Non, pas votre beau-père perdu au milieu de cette ancienne centrale électrique transformée en dancefloor bétonné, ni votre ancien prof de maths aujourd'hui à la retraite, mais un homme jeune, circa 25 ans, silhouette oscillante sur les beats acérés de Miss Kittin. Et si l'étonnement est grand, c'est qu'il ne s'agit pas de la barbe de trois jours du Paris-Dakar des années 80, ni du bouc craignos de Johnny Hallyday version Gstaad 2007. Mais de la bonne vieille barbe courant Snes années 70 revue et corrigée. Soit débroussaillée, peignée, brossée. Car la barbe 2007 ne se porte pas à la Saddam Hussein au soir de son arrestation ou à la Antoine, navigateur des mers du Sud. «Plus que dans la barbe wild, bear ou bûcheron, on donne aujourd'hui dans la barbe design, détaille Mickaël, fin connaisseur de l'esthétique en cours à Berlin. Une barbe taillée, quoique fournie, mais sans apprêt pour qu'elle échappe à la coquetterie. En somme, une barbe culturelle.» Au Möbel Olfe, le bar des artistes homos-lesbiennes du quartier de Kreuzberg, la barbe se porte volontiers épaisse et architecturée, aux contours nets et précis. Accusant les beaux traits des beaux hommes, disent les connaisseurs, elle procure un genre viril et sexy à la fois, tout en conservant la nonchalance cool et branchée qui caractérise la ville. Nature et sophistiquée, la barbe irait comme un gant à la physionomie de Berlin, capitale insulaire, Far West de l'East.

Dress-code. Et à Paris ? On retrouve bien la barbe «à la mode berlinoise» chez quelques musiciens comme le néo-beatnik Herman Düne ou l'électro d'ici Sébastien Tellier. Mais la capitale française en pince plutôt pour la bonne paire de moustaches. Plus dandy, plus chic parisien. Déclenchant haussement de sourcils et moues songeuses, les précurseurs la portent depuis quelques années, comme le dessinateur Luz (lire ci-contre). Voilà seulement six mois qu'elle est devenue dress-code de soirée ­ vous avez un mois pour vous faire pousser une pilosité probante ­ et qu'elle déroule ses petites pattes courtes dans les magazines. Dernièrement, le mensuel Technikart en a fait une série de mode, garçons au poil apparent, accessoirisés de grosses chaînes en or et de chemises ouvertes sur leurs poitrails délicatement bouclés. Un style perdu de vue depuis le début des années 80, du temps de la série Magnum, avec Tom Selleck en icône moustachue interplanétaire et furieusement gay. Alors, pourquoi ce come-back poilé ? «Pour s'amuser», dit Guillaume, 35 ans, dont cinq avec moustache. Une façon de se différencier, devenue choix esthétique. Il y a six mois, il lance le Paris Moustache Club, ouvert aux garçons comme aux filles ­ ces dernières peuvent être simples amatrices ou arborer, si leur coeur leur dit, quelques postiches vendus sur l'Internet.

Marquer sa différence. Seul maître barbier de la capitale, installé dans le Marais parisien, Alain confirme la tendance, quasi exclusivement chez les acteurs, modeux et autres créatifs parisiens. «C'est le modèle américain qui est en vogue, observe-t-il, simple et droit à la Clark Gable.» Pas de frisottis à la Brigades du tigre, ni d'imposantes bacchantes, juste le bon retour du poil peigné et soigné. «Dans une société où les différences entre homme et femme ont tendance à s'estomper, avance Alain le barbier, la meilleure façon pour l'homme de marquer sa différence est d'afficher une pilosité faciale apparente.» Derrière ce renouveau de la barbe et de la paire de moustaches, il faudrait donc déceler une volonté de renouer avec une virilité plus nature. Avec ces parangons du poil fièrement affiché, le modèle masculin ne se résumerait plus à cette seule «demi-fiotte» de métrosexuel, homme «féminisé», qui passerait son temps à éliminer la moindre trace noire et frisée. De quoi réjouir tous ceux qui déplorent la féminisation de la société et de l'homme. «Le poil n'est pas traqué par hasard, écrit Eric Zemmour dans le Premier Sexe (1). [...] Il est une trace, un marqueur, un symbole. De notre passé d'homme des cavernes, de notre bestialité, de notre virilité. De la différence des sexes. [...] L'épilation masculine marque une volonté d'en finir avec notre virilité ancestrale.»

L'homme, le vrai, serait-il de nouveau parmi nous ? Vite dit. Certes, reconnaît Guillaume, les moustaches sont indissociables d'une touche de virilité et d'une bonne dose d'homme des bois. «Il y a sans doute une recherche de naturalité dans la différence des sexes, estime le psychanalyste Serge Hefez. L'égalité des sexes, dont l'apport est inestimable dans les rapports sociaux, peut aussi prêter à confusion dans la sexualité. D'où cette envie de resexualiser les relations hommes-femmes, en restaurant une différence.» Mais la comparaison avec l'ancien temps s'arrête là. Autrefois, barbes et moustaches étaient irrémédiablement scotchées à l'identité masculine ­ comme c'est toujours le cas dans les pays orientaux, impossible de faire sans. Dans les années 2000, elles deviennent accessoires de mode. «C'est comme un bijou», estime Guillaume, du Paris Moustache Club. On la porte un moment, puis on l'enlève. «Après guerre, les femmes ont appris avec Simone de Beauvoir qu'on ne naissait pas femme, on le devenait, souligne le psychanalyste Serge Hefez. Aujourd'hui, les hommes apprennent qu'ils ne naissent pas hommes mais le deviennent.»

Truc d'homo. A mesure que la masculinité ne se fonde plus sur le roc inébranlable du patriarcat, les hommes jouent à l'homme pour le devenir. Aux talons aiguilles, décolletés et rouges à lèvres féminins répondraient moustaches et autres barbes revisitées comme autant de fards masculins. Costume de banquier un jour, blouson de cuir le lendemain, moustache ou face imberbe, les hommes jonglent petit à petit avec les différentes facettes de leur identité, balayant tous les spectres de leur sexualité. Car, du bouc à la Johnny au crâne rasé à la Barthez, les modes surjouant de la masculinité et de la virilité sont essentiellement lancées... par les garçons qui aiment les garçons. «La moustache est souvent perçue comme un truc gay, même si c'est un hétéro qui la porte», confirme Guillaume. En préambule, le Paris Moustache Club affirme «aimer les filles qui aiment les hommes qui aiment les poils et qui n'ont pas peur des filles qui portent la moustache». A défaut de célébrer le retour de l'hétérosexuel droit dans ses bottes, la réapparition du poil apparent ne couronnerait-il pas plutôt l'art du travestissement et le joyeux mélange des genres ?

(1) Collection «Indigne», Denoël, 2006.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité