Soumission à l'autorité
Dans ce faux jeu, les candidats peuvent s'infliger des décharges électriques./ C. RUSSEIL / FRANCE 2
MEDIAS - «Le Jeu de la mort», à 20h35 sur France 2...
Créer l'électrochoc à coups d'électrochocs. Ce soir, sur France 2, c'est la mission de «Jusqu'où va la télé? Le jeu de la mort». Une transposition de l'expérience scientifique de l'américain Stanley Milgram en 1963.
Objectif? «Démontrer le pouvoir de la télé, dont celui d'organiser un jeu fondé sur la mort», explique son auteur, Christophe Nick. Il a recruté 80 volontaires, persuadés de venir participer au pilote d'un jeu. Il leur fallait infliger des secousses électriques de 20 à 460 volts à leur partenaire (un acteur, qui n'a jamais été soumis à ces décharges) à chaque fois que celui-ci donnait une mauvaise réponse.
Malgré ses cris, ses supplications, puis son absence totale de réaction, 81% d'entre eux ont continué jusqu'à la dernière manette, encouragés par le public et l'animatrice. « Ce programme, c'est un terrible pavé dans la mare lance Patricia Boutinard Rouelle, directrice de l'unité documentaires de France Télés, nous voulons provoquer un débat sur la télévision». L'ensemble du dispositif a été filmé, accompagné des explications des scientifiques qui ont encadré l'expérience, et des réactions des candidats, une fois la supercherie dévoilée.
«Seuls trois d'entre eux ont refusé qu'on diffuse leur image, précise Christophe Nick. Les autres ont compris avoir participé à une remise en question salutaire de l'emprise de la télé». Certains ont témoigné, dans L'Expérience extrême, (Ed. Don Quichotte), livre tiré de l'expérience. «De toute façon, moi, j'ai l'habitude d'obéir, j'ai toujours obéi» lance ainsi Philippe, conducteur de métro qui est allé jusqu'à la décharge maximale. Pas de volonté ici pourtant de stigmatiser les participants. «Après avoir vu le programme, le public doit se dire qu'il aurait pu aussi envoyer ces décharges », note Nick. Jean-Louis Missika, sociologue des médias, fait néanmoins remarquer « que les images diffusées à la télévision sont loin d'être les plus violentes. Sur Internet, cela va beaucoup plus loin. Et c'est ce média-là qui va compter dans les années à venir, pas la télévision.»
La mise en perspective à l'échelle de la société d'une expérience de torture dans un jeu télévisé.
Et
si la télévision nous modelait jusqu'à nous changer en assassins ? Face
aux dérives de la télévision commerciale, entre téléréalité trash et
jeux violents, Christophe Nick a imaginé une expérience unique au
monde, un faux jeu télévisé. Il en a tiré un film événement. Dans ce
divertissement, on demande à des candidats d'administrer des décharges
électriques toujours plus puissantes à un autre candidat.
Christophe
Nick s'est inspiré d'une expérience menée dans les années 1960. À
l'époque, le psychologue américain Milgram avait sélectionné des
volontaires pour un prétendu test sur la mémoire. Les cobayes devaient
soumettre un individu — en réalité un acteur — à des décharges
électriques d'intensité croissante. Impressionnés par l'autorité du
savant, ne se sentant guère responsables de leurs actes, ces gens
ordinaires administrèrent, en majorité, les décharges jusqu'au bout
(450 volts), malgré les protestations et les cris de leur victime.
Que
donne cette expérience lorsqu'elle prend appui sur l'autorité de la
télévision? Les 80 candidats ont d'emblée accepté de soumettre leur «
compagnon de jeu » à des décharges. Sur le plateau, un public chauffé à
blanc, des caméras, des projecteurs, la star montante Tania Young.
Combien
sont-ils à aller jusqu'au bout? Chez Milgram, ils représentaient 62,5
%. Ici, bien plus. Des monstres? Non, des gens de toute catégorie
sociale et de tous âges. Ni sadiques, ni abrutis : des téléspectateurs
ordinaires, devenus bourreaux au service du spectacle total. Nous.
Sommes-nous
devenus plus sadiques ou plus obéissants? Quel type de société peut
donner naissance à un tel comportement? Cet ouvrage est destiné à
répondre à ces questions.
Note de l'éditeur
Deux documentaires événements seront diffusés en mars 2010 sur France2 à 20h35.
Ebranlés,
les téléspectateurs auront besoin de se remettre en mémoire les
conditions de l'expérience. De contrôler son sérieux scientifique. De
s'interroger sur son sens : et eux, qu'auraient-ils fait ?
Jean-Léon Beauvois (Co-auteur du Petit Traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens), Dominique Oberlé et Didier Courbet apportent leur caution scientifique à l'expérimentation.
Les auteurs
Christophe Nick est producteur (École(s) en France, La Résistance...) et enquêteur, auteur (TF1, un pouvoir, avec Pierre Péan notamment). Michel Eltchaninoff est agrégé de philosophie et journaliste. Membre de la rédaction de Philosophie Magazine, il a notamment publié Manuel de survie dans les dîners en ville.