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26 janvier 2010

Analyser les représentations sexuées dans les manuels scolaires

Analyser les représentations sexuées dans les manuels scolaires

Un Cd-rom coordonné par Carole Brugeilles, Sylvie Cromer et Thérèse Locoh (CEPED, 2008)


Par Emmanuelle Zolesio [1]

http://www.liens-socio.org/article.php3?id_article=5448

Dès les années 1960, à l’échelle internationale, plusieurs études s’attachent à relever dans les manuels scolaires les stéréotypes sexués à l’origine du maintien et du renforcement des inégalités hommes/femmes [2]. Cette approche a donné lieu à plusieurs publications d’ouvrages [3] et d’articles [4] depuis, portant principalement sur la littérature de jeunesse et les manuels scolaires proposés par l’Education nationale, ou encore les encyclopédies pour enfants. Ce qui se dégage des analyses d’Anne Dafflon Novelle, comme de celles de Carole Brugeilles et Sylvie Cromer, c’est l’inégale représentation des garçons et des filles dans les histoires pour enfants (avec une prépondérance de la présence masculine et des rôles de protagonistes au détriment des filles, moins nombreuses et plus souvent figurantes), et l’affectation du genre féminin à la sphère privée (quand la sphère professionnelle est davantage le fait des hommes).

Dans le même genre, Christine Détrez a récemment contribué à l’analyse de ces représentations sexuées dans le domaine des encyclopédies sur le corps expliquées aux enfants [5]. Elle montre par l’analyse qualitative d’un corpus d’une cinquantaine d’ouvrages que la différence des sexes et la différenciation des rôles se trouvent, par l’explication biologique diffusées auprès des enfants, justifiées et fondées en nature. Le naturel s’invente en effet à travers la distribution entre garçons et filles des organes décrits (aux uns le cerveau, aux autres les hormones) mais également à travers le biais du langage et des métaphores employées. Ainsi s’effectue, sous couvert scientifique, une véritable inculcation de normes sociales. L’ensemble de ces contributions entend souligner la fonction socialisatrice de toute cette littérature de jeunesse et les incohérences qui existent parfois entre les directives ministérielles et leur application pratique [6]. Analyses quantitatives et qualitatives se conjuguent et conduisent aux mêmes constats. Or la place du manuel scolaire semble d’autant plus importante lorsqu’il y a pénurie de livres et l’idée d’en analyser les représentations dans des contextes de pauvreté prend du coup d’autant plus d’importance. C’est le but que s’est fixé l’équipe d’Analyser les représentations sexuées dans les manuels scolaires, CD-rom qui entend éclairer les modalités de l’éducation sur les comportements démographiques (effet de la fécondité, du retard de l’âge au mariage des filles qui prolongent leurs études, aptitude à mettre en œuvre des méthodes de planification familiale, conséquences de la maîtrise de la lecture et des connaissances basiques en hygiène sur la mortalité infanto-juvénile). La rencontre de chercheurs et chercheuses africanistes s’intéressant aux manuels scolaires, d’une démographe et d’une sociologue ayant analysé les représentations sexuées dans la littérature de jeunesse en France [7] a constitué le noyau initial de ce réseau de recherche sur les représentations sexuées dans les manuels scolaires africains. S’engagent ainsi quatre équipes africaines dans l’étude des manuels scolaires de mathématiques de leur pays : Hélène Kamdem-Kamgno (démographe, Cameroun), Rachelle Djangone et Kalilhou Sy-Savane (démographe et inspecteur de l’Éducation nationale, Côte d’Ivoire), Justine Nomenyo et Atavi Edorh (documentaliste et statisticien, Togo), Ibtihel Bouchoucha (statisticienne, Tunisie). Parallèlement, en 2005, la publication de la méthode [8] suscite de nouvelles études sur les manuels du Mexique, du Sénégal, d’Algérie, de la République Démocratique du Congo, de Chine, de Madagascar. En ce qui concerne la méthode, toutes ces contributions soumettent à une grille de lecture les personnages de ces manuels, partant de l’hypothèse que ceux-ci sont les supports d’identification et de projection des enfants. Sont ainsi relevés le sexe, l’âge, la forme (personnage individuel ou collectif), les modes de désignation, les attributs, les traits de caractère, les relations avec les autres personnages, la posture... des personnages mis en scène. Les auteurs précisent que ces informations sont ensuite traitées de manière quantitative pour éviter tout subjectivisme. Mais on peut regretter peut-être que cette analyse quantitative soit présentée comme en opposition avec des analyses qualitatives - potentiellement discréditées par ce « subjectivisme » - alors qu’elles pourraient être combinées et vues comme complémentaires, tant les résultats produits par les unes et par les autres convergent vers des résultats similaires. En tous les cas, la première vague de travaux (pour le Togo, la Tunisie et le Cameroun) s’est appuyée sur les manuels de mathématiques, puis l’adaptabilité de la méthode a pu être testée à d’autres champs disciplinaires (pour les études sur Madagascar, le Mexique ou le Sénégal).

Dans toutes ces études, on constate l’importance numérique des protagonistes masculins. Mais chacune des contributions développe également une problématique spécifique. Ainsi Justine Adzowavi, Atavi Mensah Edorh et Thérèse Locoh explorent-elles les relations développées entre les personnages dans les manuels togolais, s’interrogeant sur la plus grande autonomie des garçons. Ibtihel Bouchoucha et Thérèse Locoh montrent que les représentations des manuels en Tunisie continuent d’inscrire les femmes dans la sphère familiale et les hommes dans la sphère publique. Hélène Kamden Kamgno montre l’originalité du corpus camerounais, les femmes étant fortement impliquées dans l’activité économique, mais le plus souvent de façon informelle. Bénédicte Gastineau et Juliette Rafanjanirina étudient les manuels malgaches et leur bipartition entre un monde rural traditionnel (fidèle à la réalité du pays) et un monde urbain, représenté comme un modèle de modernité (mais en net décalage avec les évolutions que connaît en réalité la société). Les manuels mexicains étudiés par Gabrielle Séguin visent quant à eux à favoriser l’éducation indigène tout en introduisant la perspective du genre afin de réparer la marginalisation socio-économique des Indigènes, a fortiori des femmes. Enfin, Sylvain Lemaire s’interroge sur les appartenances culturelles mises en scène par les manuels sénégalais où sont représentés trois milieux : le monde rural, le monde rural dakarois et le monde urbain parisien.

En définitive, on remarque des représentations sexuées souvent en retrait des évolutions qui traversent effectivement les sociétés. Les six contributions présentées démontrent qu’il y a encore loin entre les pétitions de principes énoncées dans les conférences et conventions internationales, et ainsi acceptées par les décideurs des politiques éducatives, et leur application réelle dans le contenu des manuels scolaires. Croyant que la promotion de l’égalité entre les sexes, au cœur des droits humains et du développement socio-économique, passe par une vigilance aiguë dans la conception des manuels scolaires, leurs auteurs se mobilisent ainsi pour la modification des manuels allant dans le sens de rapports égalitaires entre les sexes. Le fait que leurs analyses soient disponibles et téléchargeables sur le site de l’Unesco [9] contribue en tous les cas certainement à diffuser le message.

[1] Doctorante en sociologie au GRS (Lyon) et ATER en sciences de l’éducation à Lille 3

[2] DECROUX-MASSON Annie, Papa lit, maman coud. Les manuels scolaires en bleu et rose, Paris, Denoël-Gonthier, 1979 ; MICHEL Andrée, Non aux stéréotypes : vaincre le sexisme dans les manuels scolaires et les livres pour enfants, Paris, Unesco, 1986.

[3] BRUGEILLES Carole, CROMER Sylvie, Analyser les représentations du masculin et du féminin dans les manuels scolaires, Paris, CEPED, coll. « Les clefs Pour », 2005.

[4] Pour n’en citer que quelques-uns : DAFFLON NOVELLE Anne, « Sexisme dans la littérature enfantine : quels effets pour le développement des enfants ? », 2003 (Document téléchargeable sur le site : <www2.unil.ch/liege/Egalens/e_litt_enfantine.htm>) ; BRUGEILLES Carole, CROMER Isabelle et CROMER Sylvie, « Les représentations du masculin et du féminin dans les albums illustrés ou Comment la littérature enfantine contribue à élaborer le genre », Population, vol. 57, 2002, pp.261-292 ; BRUGEILLES Carole, CROMER Sylvie, « Albums illustrés créés par des femmes, albums illustrés créés par des hommes : quelles différences ? Le cas de la production française de 1994 », in DANIELLE BAJOMEE, Juliette DOR et Marie-Elisabeth HENNEAU (dir.), Femmes et Livre, Paris, L’Harmattan, 2007, pp.97-123.

[5] DETREZ Christine, « Il était une fois... le corps. La construction biologique du corps dans les encyclopédies pour enfants », Sociétés contemporaines, n°59-60, février 2006

[6] Carole Bourgeilles, Sylvie Cromer et Nathalie Panissal soulignent ainsi que « Le site officiel de l’Education nationale déplore que "malgré leurs bonnes performances scolaires les filles ne diversifient pas assez leur choix d’orientation (...)" quand les garçons font des choix beaucoup plus variés. Or nombre d’histoires proposées renvoient à des rôles et à une image traditionnelle du monde du travail qui n’impulsent aucun changement et qui sont loin de favoriser la mixité et l’égalité entre femmes et hommes en matière d’orientation scolaire et d’insertion professionnelle » (in « Le sexisme au programme ? Représentations sexuées dans les lectures de référence à l’école », Travail, genre et sociétés, 2009/1, n°21, p.124).

[7] BRUGEILLES et al., op. cit.

[8] BRUGEILLES, CROMER, op. cit

[9] http://unesdoc.unesco.org/images/0015/001588/158897f.pdf->http://unesdoc.unesco.org/images/0015/001588/158897f.pdf

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