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28 janvier 2009

Nojoud, 10 ans, divorcée au Yemen

Nojoud, 10 ans, divorcée
au Yémen

De notre envoyée spéciale à Sana'a (Yémen), Delphine Minoui
24/06/2008 | Mise à jour : 18:52
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Mariée de force en dessous de l'âge légal, abusée sexuellement et physiquement par son mari de vingt ans son aîné, Nojoud Ali est la première Yéménite à avoir osé défier, à l'âge de 10 ans, l'archaïsme des traditions de son pays, en demandant le divorce.

Dans les couloirs encombrés du tribunal de Sana'a, personne n'avait pris le temps de la remarquer. Cela faisait des heures que la frêle Nojoud Ali, drapée dans un voile noir, patientait, en priant pour qu'une oreille attentive puisse l'écouter. À midi, la foule se dissipa et un juge finit par s'étonner de ce petit bout de femme recroquevillé sur ce banc désormais vide. «Qu'est-ce que tu attends ?», lui demanda-t-il. «Mon divorce !», lui répondit-elle. À 10 ans, Nojoud fait partie de ces milliers de filles yéménites, mariées au plus jeune âge, selon de vieilles traditions tribales qui perdurent essentiellement en province. Mais, fait exceptionnel, c'est la première fois qu'une jeune mariée osa, ce 2 avril 2008, se rebeller contre les traditions en vigueur. Jusqu'à entamer un procès contre son mari, Faez Ali Thamer, trois fois plus âgé qu'elle. Et à le gagner avec brio, grâce à une mobilisation sans précédent de défenseurs des droits de l'homme et de journaux locaux. Une vraie première. «Au début, j'avais honte d'en parler», murmure la petite fille haute comme trois pommes qui a accepté de nous raconter le récit de ses mésaventures. Avant d'enchaîner, cette fois-ci sur un ton plein d'assurance qui dénote une étonnante maturité acquise au cours de son combat de deux mois : «Maintenant, je veux retourner à l'école et je veux étudier pour devenir avocate !»

C'est au domicile parental, dans le quartier de Dares, où elle a retrouvé ses frères et sœurs, qu'elle nous reçoit. Coincée dans une ruelle poussiéreuse, la maisonnette est composée de deux minuscules pièces sans ventilateur. Des coussins jetés à même le sol forment l'unique mobilier du salon. Un habitat vétuste, typique de l'installation de nombreux villageois venus tenter leur chance dans la capitale, Sana'a, pour n'y trouver que misère et pauvreté, comme Ali Mohammad al-Ahdel, le père de Nojoud. Actuellement au chômage, ce dernier, originaire d'un village de la province de Hajja, doit nourrir deux femmes et seize enfants. Des raisons qui expliquent, bien souvent, la fréquence des mariages précoces, en échange d'un petit pécule. «Quand Faez Ali Thamer, également originaire de Wadi La'a, est venu demander la main de Nojoud, j'ai tout de suite accepté pour pouvoir la protéger. Ma première fille a été kidnappée, je ne voulais pas qu'il lui arrive la même chose», se défend-il, en se réfugiant dans des lamentations douteuses. À ses côtés, Shoya, la mère de Nojoud, acquiesce d'un geste de la tête : «Il nous avait promis d'être respectueux.» Selon la loi en vigueur, l'âge du mariage est fixé à 15 ans pour les filles. Mais de nombreux parents dérogent à la règle en établissant un contrat de mariage stipulant que les relations sexuelles sont interdites jusqu'à ce que la jeune fille soit «prête». Or, ce contrat est rarement respecté.

Le soir des noces, c'est la fête pour Nojoud, qui ne réalise pas bien ce qui lui arrive. «On m'a offert trois robes pour mon mariage, deux jaunes et une marron. Elles étaient très jolies», se souvient-elle, en plissant ses yeux en forme d'amande. Cette fan des jeux de cache-cache qui aime le chocolat, comme la plupart des filles de son âge, n'avait qu'un seul rêve, à part celui d'avoir un jour la télévision : «Ressembler à une tortue, pour me glisser dans l'eau, car je ne suis jamais allée au bord de la mer.» Le mariage, elle ne savait pas trop bien ce que cela signifiait, à l'exception des cadeaux qui viennent avec et d'une maison toute neuve. Ce n'est qu'une fois arrivée au nouveau domicile conjugal, dans le village de Wadi La'a, qu'elle prend conscience de son calvaire. Après lui avoir indiqué sa chambre à coucher, son mari lui fait vite comprendre ses intentions. «Il a voulu qu'on dorme dans le même lit. J'ai refusé et il s'est mis à me courir après. Il a fini par m'attraper et par me faire des choses sales et désagréables», raconte-t-elle. Chaque soir, à la nuit tombée, le même scénario se reproduit : «Dès qu'il rentrait du travail, ça recommençait. Je pleurais en le suppliant de me laisser seule. Il me tapait avec un bâton. J'avais beau crier, personne ne pouvait m'entendre.»

Quelques semaines plus tard, elle se résigne, honteuse, à en parler à ses parents lors d'une visite à Sana'a. Mais ils font la sourde oreille. «Mes cousins m'auraient tué si je déshonorais la famille en demandant le divorce pour ma fille», nous dit le père, engoncé dans sa tunique blanche. Nojoud, elle, refuse de baisser les bras. À force de frapper à toutes les portes, elle finit par recueillir, le mois suivant, le conseil d'une de ses tantes. «Va au tribunal, c'est la seule solution !», lui lance-t-elle, en glissant quelques pièces dans le creux de sa main. Tout juste de quoi monter dans un bus des transports publics.

Dans ce bâtiment si impressionnant, Nojoud se sent perdue. Interpellé par le courage et la détresse de la petite fille, Mohammed al-Ghadhi, le juge, décide de l'héberger chez lui pendant trois jours, et de placer le père et le mari en détention provisoire. Mais la demande de divorce, unique en son genre, n'est pas facile à régler. «Selon les mœurs yéménites, où les règles tribales ont souvent la priorité sur la loi en vigueur, ce genre d'affaires est d'habitude étouffé», confie l'avocate Chadha Nasser, qui se porta volontaire pour défendre Nojoud. Cette spécialiste des droits de l'homme s'en remet alors à son intuition. Le jour du procès, elle convoque les associations féministes et la presse. Le sujet fait la une du quotidien Yemen Times. Sous la pression de l'opinion publique, le divorce est finalement prononcé. Un tabou est brisé. «Ce procès a enfoncé une porte fermée», se réjouit Chadha Nasser. Depuis, une petite dizaine d'autres filles ont osé entamer des procédures judiciaires contre leur mari. Nojoud, elle, prépare son retour à l'école. Elle a réintégré le foyer parental, mais bénéficie du soutien et de la protection de plusieurs associations, ainsi que de son avocate, sa «seconde mère», comme elle l'appelle. «Quand je serai grande, je veux défendre les gens opprimés. Comme Chadha !», dit-elle.

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