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2 janvier 2006

Le cinéma obscène par Estelle Bayon ed. L'harmattan 06

Préface

Au livre d’Estelle Bayon

Le Cinéma Obscène

Paris L’harmattan 2006

Le cinéma est-il obscène ? L’a t-il toujours été ? Comme pellicule il enveloppe la peau fantasmatique de notre imaginaire corporel. Là où le langage produit sa norme morale comme frontière linguistique de la normalité, le cinéma paraît présenter dans l’image un contenu sensible si évident que la confusion des sens serait immédiatement accomplie. La performativité de l’obscénité tiendrait dans une obscénité de la représentation du nu et du sexe qui n’est pas si neuve, au regard de ce que Jean Marie Pontévia analysait déjà comme la pornographie de l’art[1].

La surenchère exhibitionniste fait accroire en la cruauté d’une vérité déshabillée, qui aurait traversée l’apparence pour livrer au spectateur l’essence même de la chose. Cette stratégie du décharnement qu’implique le déshabillage téléréel révèle la structure de récit, relativisant la censure par les effets de construction de tout récit obscène. L’obscénité présentée comme telle, celle du sale, du scabreux, de l’impudique, du pornographique, de l’indécent, du dégoûtant ou de l’abject, reste encore un récit normalisé dans la transgression même de la règle esthétique. Chacun et chacune voudrait sur son blog franchir la limite, en réalité sa propre limite représentationnelle, pour présenter un cinéma  réaliste, de l’événement corporel, du présent incarné.

Ce que démontre Estelle Bayon c’est le trouble entre le l’organique et le mécanique, entre l’animal et l’humain, entre l’instinct et la raison qui place le corps dans la dualité d’un dedans/dehors : le cinéma est cette « petite peau », pellicula d’une chair, viande mortelle, flux mobile et tenseur sexuel. Que le corps soit montrable, la traque d l’intime, la monstration des plis, la pénétration des orifices auraient du suffire pour déclencher le fantasme du spectateur photographique. Mais la peau pelliculaire n’épuise pas le regard par la saturation de la numérisation instantanée du happening logué ; car plus que la consommation onaniste d’images, le cinéma ob-scène plus qu’il n’obsède : il interdit la reproduction par le mouvement des corps, par le cadre qui déborde.

pornobreilla

Le cinéma érotique n’a pas suffi pour incarner le vif du sujet. La mise en scène des femmes nues, des corps, des baisers, des sexualités comme pornographic gender a révélé l’impuissance masculine à dévoiler l’extase derrière et dans le corps à corps. La fausse opposition entre érotique et pornographie entretient encore les moralistes post-féministes qui croient rétablir la subjectivité en refusant, à juste titre, l’instrumentalisation de l’autre corps et l’assujettissement sexuel, comme si l’image pornographique, 1er industrie de consommation, n’était pas elle-même déjà un récit, une structure, une idéologie régulatrice des rapports sociaux.

L’obscénité du cinéma n’est pas dans l’évidence du coït, les gorges profondes ou l’extension des orifices : l’intérieur du corps est manqué dans le productivisme pornographique soumis au règles du Gender et aux schémas juridiques des tabous sociaux comme le viol, l’ondinisme, la scatologie, la zoophilie, dénoncées comme des déviances. Le cinéma doit rester dans les limites de la censure, en deçà de la désacralisation, de la décomposition, de la déconstruction de sa matière et de ses formes. La tentation serait de réduire l’obscène à une effet de la censure, comme un héritage de la morale judéo-chrétienne : la nécessité de la transgression comme l’excès des limites, si bien confirmé dans le Bataille de l’Erotisme, maintient le cinéma dans une anthropologie du tabou de l’inceste, du parricide et du meurtre.

La mise en (ob-) scène s’attaque à l’œil[2], celui là même du regard, comme entame de l’image du corps comme totalité perceptive et comme effraction dans le schéma corporel.  En portant atteinte au corps, à sa surface aussi bien qu’à son développement, le cinéma obscène dépasse le cinéma de l’obscène : l’irréversible (de Noé Gaspar en 2002) du plan séquence du viol pose le problème de l’image malgré tout, selon le concept de Georges Dibi-Huberman ; pornographier l’acte sexuel, mais aussi la jeune fille, l’enfant, le vieillard, le camp de concentration, le génocide. L’irruption inattendue d’une obscénité dérange la représentation et modifie la perception. Contrairement à Baudrillard, qui voudrait nous faire croire que l’écran est total, que le crime serait parfait, que la guerre du Golfe n’a pas eu lieu,,  l’obscène est un surgissement performatif qui met un terme à la simulation par l’acte corporel même.

L’obscénité se fonde sur la dissociation performative du sexe et du genre[3] opérée par Judith Butler à propos des «  actes corporels subversifs » car il n’y a pas de «  statut ontologique indépendamment des différents actes qui constituent sa réalité »[4].  Les performances par le corps de l’artiste[5] mettent en scène[6] le corps obscène pour provoquer moins le désir que le dessillement perceptif. Linda Williams a démontré combien l’excès est décliné dans l’anatomie des films corporels en allant du mélodrame à la pornographie en passant par les films d’horreur[7].

En absorbant entièrement le sexe de son partenaire par une fellation gorge profonde, l’actrice Linda Lovelace[8] accomplit un geste sans déglutir ou vomir par réflexe, ce qui serait la preuve de sa mise sous hypnose par son compagnon. Deep Throat, le film et la fellation sont devenus un enjeu majeur de la question de la démarcation entre obscène et pornographie, entre assujettissement et expérience corporelle.   « L’obscénité est une idée morale, la pornographie est une pratique politique »[9]. Il convient, après Michel Foucault de se demander, avec Catharina A. Mac Kinnon «  si la sexualité, socialement construite sur les rôles de genre, n’est pas elle-même une structure de pouvoir »[10]. La mise en scène dans l’image du film, du blog, du site expose l’acte sexuel par l’élimination d’une différence entre l’intimité du corps propre et l’exposition du corps social. Le mauvais genre[11] participe d’une «  artialisation » du corps comme un style à incarner pour parvenir à un soi corporel.

Comme «  insert déchirant dans la signification, Estelle Bayon décrit l’obscène cinématographique dans la faillite du verbal, dans le secret de la vulva dont tout être humain est sorti, dedans cette origine du monde de G. Courbet, comme le très gros plan au galet dans Anatomie de l’enfer de Catherine Breillat en 2002 ou son gros plan sur la vagin de Marie, lors de la naissance dans Romance en 1998. Le vagin, la bouche, et les trous du corps définissent une esthétique d’un « cinéma vulvaire » qui produit une indécence par la défiguration du visage, dans la blessure originaire, la source noire.

Le son de l’extase (plaisir ou douleur) violente ou jouissive, trop souvent pathologisé dans la crise d’hystérie, s’entend dans le cinéma obscène en révélant la dimension verbale de la chair, selon les travaux de Michel Chion : «  de la béance de la bouche s’extraie l’intimité ; le cri vomit l’intérieur ». Si le cinéma obscène traque le son et l’image manquante en ne nous montrant que du vide, des trous, des béances et des déchirures visuelles et auditives.

La peau du cinéma est dans ce livre d'Estele Bayon et elle est présentée dans ses entrailles et ses secrétions critiques sans jamais céder, fidèle en cela au Salo de Pasolini,  à la tentation moraliste de la dénonciation de la pornographie ni dans l’apologie de la crudité.

bernard.andrieu@wanadoo.fr

http://leblogducorps.canalblog.com

Professeur

« Epistémologie du corps et des pratiques corporelles »

www.toutnancy.com/bernard-andrieu/

Directeur de l’Equipe ACCORPS/ UMR 7117 CNRS

« Action-Cultures-Corporéités »

www.staps.uhp-nancy.fr

http://www.univ-nancy2.fr/poincare/


[1] Pontévia J.M., 1984, Ecrits sur l'art et pensées détachées, I - La Peinture, masque et miroir, 1984. William Blake & Co

[2] Estelle Bayon compare très bien Sylvia Bataille, Partie de Campagne, Jean Renoir ; Amira Casar, Anatomie de l’enfer, Catherine Breillat, 2002 ; L’énucléation, Salo ou les 120 journées de Sodome, Pier Paolo Pasolini, 1975 ; La méthode Lodovico, Orange mécanique, Stanley Kubrick, 1971 ; l’œil fendu, Un chien andalou, Luis Bunuel, 1929, Jean regarde l’origine du monde, Sombre, Philipe Grandrieux, 1998.

[3] De Laurentis T., 1987, Technologies of gender. Essays on Theory, Film and Fiction,

Bloomington

,

Indiana

University Press.

[4] J. Butler, 1990, De l’intériorité au genre performatif, Trouble dans le genre, . Pour un féminisme de la subversion, Paris, La découverte, p ; 259.

[5] T. Warr, A. Jones, 2005, Le corps de l’artiste, Paris, ed. Phaïdon, p. 114-133..

[6] E. Fuchs, 1989, Staging the Obscene Body, TDR(1988-), vol ; 33, n°1, p ; 33-58, ici p. 50-51.

[7] L. William, 1991, Film Bodies : gender, genre and Excess, Film Quaterly, vol. 44, n°4, p; 2-13, ici p. 9.

[8] L. Lovelace 1986, Out of Bondage, Citadel Press.

[9] Mac Kinnon C.A., 1987, Le féminisme irréductible. Conférences sur la vie et le droit, Paris, Ed. des femmes, 2005, p. 150.

[10] Op.cit., p. 91.

[11] D. Baqué, 2002, Mauvais genre(s) Erotisme, pornographie art contemporain, Ed. du Regard, p. 123-142.

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Commentaires
O
Vivement que le mémoire soit édité !
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